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Scarlatti romantique par Racha Arodaky

Après l'enregistrement des Romances sans paroles de Mendelssohn (chez BNL) puis des Préludes de Scriabine (chez Zig-Zag Territoires), signe cette fois-ci un enregistrement consacré à dix-huit sonates de Scarlatti. Rappelons que cette jeune et talentueuse pianiste est entrée à treize ans au Conservatoire de Paris dans la classe de Dominique Merlet et se perfectionna ensuite avec Yevgueni Malinine à Moscou et enfin avec Murray Perahia pendant 6 ans. En 1992, elle est lauréate de la Fondation Yehudi Menuhin et en 2001, « Révélation classique » de l'ADAMI. est une pianiste qui touche avant tout par sa sensibilité et son expressivité par un jeu très personnel et intimiste, et cet enregistrement en est un bon exemple.

Même si fut tout d'abord un grand compositeur d'opéras, on associe aujourd'hui son nom au 555 Sonates ou Essercizi pour clavier qu'il composa pendant ses séjours en Espagne et au Portugal. Ses courtes pièces en un mouvement et de forme bipartite étaient écrites pour l'Infante Maria Barbara de Bragance, claveciniste dotée d'une exceptionnelle virtuosité et qui n'a apparemment pas hésité à solliciter son maître. En écrivant pour son élève, Scarlatti put faire évoluer la technique du clavecin employant ainsi quelques « acrobaties » techniques telles que le croisement des mains, les sauts, les traits de triples croches… Son langage harmonique est aussi très novateur (particulièrement dans les Sonates aux tempi lents) utilisant des accords dissonants de manière brusque, sorte de surprises harmoniques appuyant le côté dramatique d'une mélodie au phrasé lyrique. Ses sonates sont conçues comme de courtes séquences qui se caractérisent par un élément rythmique, une difficulté technique ou bien sur des changements de tonalités imprimant de ce fait de brusques ruptures de caractère. Par les différents voyages de la Cour en Espagne, Allemagne ou Portugal, le compositeur s'est aussi imprégné de leur environnement musical en intégrant des motifs espagnols imitant les castagnettes, la guitare ou même donnant déjà une dimension orchestrale du clavier en utilisant des motifs de cors (K. 159, plage 15), trompettes etc. Attiré par le jeu du piano-forte, Scarlatti est ainsi le précurseur de la future technique du piano.

C'est le choix des Sonates qui fait la particularité de ce CD. utilise une majorité de pièces dans des tonalités mineures et, contrairement à la majorité des enregistrements où alternent mouvements lents et rapides, elle a préféré nous livrer des sonates au tempi lents ou modérés et au caractère mélancolique et expressif. On ressent dès le début avec la Sonate en fa mineur K. 466, une maîtrise parfaite du chant et du phrasé, une clarté dans les lignes mélodiques qui résonnent et ondulent. L'interprétation, à la sonorité chatoyante est très personnelle avec une subtilité du détail où la musique se renouvelle continuellement. On est frappé par une douceur à la fois pudique et en même temps dominée, où le temps parait quelque fois suspendu. Malheureusement, au fil des sonates, la pianiste n'arrive pas complètement à convaincre par ce jeu en demi-teintes, peut-être à cause du manque d'alternance de sonates lentes et vives. La pianiste a aussi choisi cinq mouvements rapides et particulièrement virtuoses. La Sonate en ré mineur K. 1 (plage 4), un peu dans le style d'une Invention de Bach est jouée comme pouvait le faire un Glenn Gould. La Sonate en sol majeur K. 427 (plage 10) est sans doute la plus connue, l'une des plus difficiles et est un véritable défi pour chaque interprète (la version la plus rapide est sans doute celle d'Andreas Staier chez Teldec). Racha Arodaky la joue de façon très articulée et travaillant sur les couleurs du piano. Les parties sont enchaînées sans presque aucune coupure. Le jeu est alors très actif, pressé, presque impatient. On pourrait attendre un peu plus d'articulations des motifs et une petite touche d'ironie (voire d'humour) au moment des ruptures de contrastes. Par leur jeu futile, ces sonates vives apparaissent comme une sorte de libération au coté des sonates au caractère soutenu.

Cette démarche très intéressante permet d'avoir une autre vision de ces sonates. Racha Arodaky a un jeu très volubile et une expression toute particulière qui tend presque vers le romantisme avec de longues phrases infinies sans jamais faire de la virtuosité pure dans les mouvements rapides. Un disque à découvrir.

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