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Sourires musicaux et cinéma muet : magique alchimie !

Festival de l'Emperi

Parfois, ce qui reste en mémoire après un concert, bien plus que la musique, c'est l'ambiance chaleureuse et la complicité qui naît entre le public et les musiciens. Cela signifie-t-il que la qualité musicale n'est pas au rendez-vous ? Pas forcément. Mais ces moments privilégiés de détente et de bonne humeur autour de la musique classique sont tellement rares qu'ils en deviennent précieux.

Réunissez des musiciens de talent pendant une dizaine de jours dans un cadre magnifique, offrez-leur la possibilité de jouer ensemble et un public tous les soirs, vous obtiendrez cette ambiance bon enfant au service d'une musique pleine de bonne humeur et pourtant de finesse et d'émotion.

Ce concert du 6 août était, une fois encore, un concert très long, qui ne se limitait pas à l'aspect musical. En première partie, trois ensembles, trois œuvres de compositeurs différents pour lesquels les musiciens se sont succédés sur scène. Malgré le mistral très violent qui devenait un handicap – que ce soient pour les partitions qui ne tenaient pas, les instruments qui avaient froid, le son qui risquait de tourner avec le vent ou le bruit du vent – la Fantasiestücke pour violon, violoncelle et piano de Schumann enchante les oreilles dès le début du concert. Finesse, souplesse, douceur, complicité, mais aussi énergie, enthousiasme … A noter la sonorité très douce et perlée d'Eric Le Sage au piano, qui semble enrober le trio avec simplicité et naturel. Pour le Quintette à cordes K. 516 de Mozart, , et Micha Afkham rejoignent et Gordan Nikolitch. Les quelques péripéties liées au plein air, loin de nuire au bonheur musical, semblent au contraire en être partie intégrante. Rapidement, le public, conquis par la musique de ces interprètes de talent, devient complice des musiciens. Nous sommes au-delà du concert, nous sommes dans un échange musical. Pensée prétentieuse, peut-être, puisque le public a le même rôle traditionnel que dans tous les concerts classiques du monde, mais pourtant … les pinces à linge qui tombent, les pages qui risquent de tourner à tout moment ne sont en rien un frein au plaisir musical du spectateur parce qu'il se sent solidaire des musiciens. Peut-être est-ce là une partie du secret et de la magie de ce festival. La programmation est cependant parfois surprenante : Connaissez-vous la Sérénade n°1 op. 11 pour cordes et vents de Brahms ? Non ? Ce n'est pas bien grave. Achevée en 1858, cette œuvre très longue – sept mouvements ! – semble être un catalogue de petites idées musicales inabouties, aux modulations nombreuses et grossières. Elle présente cependant l'avantage d'avoir réuni sur scène neuf musiciens qui jonglent comme ils le peuvent avec cette œuvre fleuve et recherchent la complicité musicale dès qu'elle est possible, sur chaque question/réponse, sur chaque phrase musicale partagée entre deux instruments.

Pour être fidèle à l'ambiance musicale de ce concert – et de ce festival – il faudrait maintenant développer sur tout ce qui contribue à son charme et sa richesse, tout le côté « off ». Les musiciens croisés dans la cour du château, les éclats de rires en coulisse, les changements de chaises sur scène, le violoncelle qui glisse …

Mais passons plutôt à la deuxième partie de soirée : un film muet de 1928, La chute de la maison Usher de Jean Epstein, accompagnée en direct par au piano. Enchantement des yeux, des oreilles, enchantement intellectuel aussi. Il est fascinant de se rappeler à quel point à cette époque déjà les cinéastes allaient loin sur le plan artistique. Les images sont très belles, proches de la photographie dans leurs choix de prise de vue, de luminosité, leur finition, la mise en scène est très inventive et envoûtante, les acteurs – particulièrement Jean Debucourt – excellents. Il serait inutile et vain de développer plus longuement sur ce film qui figure au palmarès officiel des chefs d'œuvres du cinéma muet. Durant 66 minutes, , placé face à l'écran dans le noir, nous gratifie d'une bande-son improvisée. Remarquable performance d'endurance, dans le froid et la nuit ! Passant de tensions sonores en tensions sonores, il met au service du film toutes – ou presque – les possibilités esthétiques de son instrument. De l'utilisation des baguettes directement sur les cordes au piano préparé en passant par des improvisations dans le style de Bach – avec toujours, au moment où l'on s'y attend le moins, une petite dissonance pour nous tenir en éveil – il nous enveloppe dans un univers sonore et étrange. La preuve de la réussite de l'entreprise ? Alors que la curiosité et la fascination pour l'exercice de style entrepris par le pianiste est grande, assez rapidement, on l'oublie totalement pour se laisser envelopper par ses sonorités souvent étranges, parfois brutales, parfois envoûtantes. On oublie le pianiste, on oublie l'exercice de style, on savoure simplement le moment artistique … malgré le froid !

Crédits photographiques : © Jean Fleche

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