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Au Menuhin Festival, Jessye Norman ou l’habileté du déclin

Au Casino, on le sait, c'est toujours la table qui gagne. D'avoir misé sur , le Festival Menuhin a gagné.

La grande tente du Festival avec ses 2 000 places était pleine à craquer. Et si les organisateurs ont gagné un pari commercial, le jazz, le chant, la musique ont été les grands perdants d'une soirée de faux-semblant.

Au programme, une œuvre majeure de , The Sacred Concert, suite orchestrale et vocale composée en 1965. Cet ouvrage à propension religieuse est un hommage que le Duke rend à Dieu. Laissant une large part au chant, parfois remplacé par le saxophone alto de Johnny Hodges ou la trompette bouchée de Cootie Williams, cette composition orchestrale pour cuivres est aujourd'hui considérée comme une œuvre majeure de la musique américaine du XXe siècle. S'inspirant de la tradition idiomatique du gospel, façonne la mélodie autour d'instrumentations sophistiquées. Immortalisée au disque par l'incomparable Mahalia Jackson et le formidable orchestre du Duke, sa reprise au programme du Festival Menuhin méritait mieux que la pâle exhibition que a offerte à un public acquis d'avance par la présence de la diva.

Prévue pour un grand orchestre, la composition ellingtonienne ne souffre pourtant aucunement de sa réduction pour une petite formation. Mais si l'accompagnement se fait intelligent, subtil et efficace sous l'impulsion du bassiste et du batteur , ne tire aucun parti de cet environnement jazzistique de luxe. Elle n'est habitée ni par le jazz, ni par le swing, pas même par la spiritualité. S'aidant d'un micro, la diva montre rapidement les limites de son instrument vocal. De l'énorme puissance qu'on lui connaissait ne subsiste aujourd'hui qu'un maigre filet vocal. Tout au long de sa prestation, Jessye Norman susurrera ses airs. Tout au plus, quelques rares aigus criés (souvent en dessous du diapason) confirmeront-ils les ultimes vestiges d'une voix qu'elle n'a plus. Jouant admirablement de l'habileté de son déclin vocal, son métier aguerri lui permet cependant de se tirer d'affaires avec une certaine élégance, leurrant ainsi la majeure partie des spectateurs sur sa présence vocale disparue.

La deuxième partie de ce récital était dédiée à des thèmes ellingtoniens plus typiquement jazz. On espérait un réveil de la chanteuse, mais on retombera vite dans le schéma du début de la soirée. A tout chanter mezza-voce, Jessye Norman ne prend plus aucun risque. A ce petit jeu, l'ennui a tôt fait de s'installer. De la demi-mesure ne se justifiant jamais sinon dans un Sophisticated Lady chanté avec le seul accompagnement de la superbe contrebasse d' qui s'inscrira (trop tard) dans l'esprit d'une réelle interprétation. C'est bien peu pour une soirée qui s'annonçait comme l'un des grands rendez-vous du festival.

Crédits photographiques : Menuhin Festival Gstaad (DR)

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