- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Chansons flamandes d’amour courtois du XVe siècle

Tandis qu'en Italie se déploient les fastes architecturaux et picturaux du Quattrocento, et que des musiciens venus du nord y jettent les bases du madrigal (qui va s'imposer au siècle suivant), nombre de ces musiciens – essentiellement franco-flamands – s'illustrent à la Cour de Bourgogne, dans la chanson polyphonique profane tout autant que dans la création spirituelle. Et le rayonnement de la Maison de Bourgogne ne se limite pas au politique ; il est aussi culturel. Les compositeurs réunis ici, de à en sont autant de témoins.

Sur le fond, c'est encore l'héritage de la chanson courtoise médiévale qui prévaut : respect et dévotion à l'élu(e) de son cœur, en même temps que variations sur le thème de « cœur qui soupire n'a pas ce qu'il désire » (ce qui constituera le fond de commerce du madrigal italien) ; mais aussi, bien éloignés des règles courtoises de la Cour de Bourgogne, certains couplets assez lestes, à la limite de la trivialité, tels ce Es wollt ein Maegdlein grasen gahn (une fillette allait en la prairie) d'Heinrich Isaac, « fillette » dont la pressante invite est sans équivoque : Fick mich, lieber Peter ! ou le malicieusement grivois Allégez moy ! attribué à Josquin : Allégez Moy, doulce plaisant brunette / dessoulz la boudinette. Encore faut-il se pencher sur le texte pour le déceler, car à la seule écoute, les différences de caractère (ou de registre) ne sont pas évidentes ; en tout cas, beaucoup moins qu'elles ne le seront quelque temps plus tard, à l'époque des Janequin, Le Jeune, Certon ou autre Mauduit.

Quant à la forme, ces pièces sont le plus souvent à trois voix, parfois quatre ou même cinq : rondeaux et ballades, avec un contrepoint en imitation (et pas forcément à toutes les voix) ; ainsi a-t-on fréquemment deux voix – supérieures – en imitation sur une troisième, autonome ; et toutes sont conçues comme des œuvres pour voix et instruments mêlés ; ce qui est particulièrement caractéristique chez , le compositeur le plus représenté ici.

S'il faut mettre l'accent sur quelques pièces à ne pas manquer, trois titres à l'écoute particulièrement recommandable : Douleur me bat, de Josquin, aux richesses harmoniques (5 voix) sensuellement captivantes ; le rondeau Triste plaisir, de Binchois, sur un texte du poète – et secrétaire de Charles VII – Alain Chartier, qui cultive l'oxymore dans cette confusion des sentiments qui peuvent animer le soupirant de telle « doulce dame, gente et belle », et où la mélodie, au superius, est accompagné d'une flûte et d'une viole complétant l'harmonie. D'Ockeghem, enfin, on retiendra le très beau – et original – rondeau à quatre voix S'elle m'amera, je ne scay, dont le texte se trouve superposé, en cantus, à trois voix inférieures chantant Petite camusette, le tout formant manière de délicieuse bergerette.

Les voix de et de ses partenaires des ensembles Currende Consort et Capella sancti Michaelis se fondent à merveille dans ce répertoire subtil et exigeant. Quant aux excellents solistes instrumentaux du Concerto Palatino (Ah ! flûtes, dulcianes, violes, cornets et sacqueboutes !), ils leur prêtent un précieux et luxueux concours. Prise de son idéalement équilibrée et livret d'accompagnement judicieusement explicite et abondamment illustré.

(Visited 660 times, 1 visits today)