- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Carl Orff, vers le retour en grâce ?

fut pendant longtemps l'épouvantail des avants-gardes européennes : un compositeur prompt à toutes les facilités pour plaire à son public. D'ailleurs n'est-il pas tentant de le réduire à ses seules Carmina Burana dont le seul nom suffit à remplir les salles de concerts ? Pourtant ces images d'Épinal forcement réductrices ne rendent pas justice à ce créateur assez inclassable, dont l'art était souvent aussi érudit que d'un abord peu aisé.

Le présent et vaste coffret réédite de manière opportune différents enregistrements du début des années 1970 publiés en leur temps par le label Acanta et désormais disponibles chez Arts. Ces prises furent réalisées sous l'autorité du compositeur par deux chefs fidèles , mais surtout , le créateur de nombreuses pièces lyriques du compositeur. Quant aux équipes vocales, elles réunissent quelques-uns des meilleurs chanteurs de ces années.

Les Carmina Burana (1935/36) sont le premier volet d'une trilogie intitulée Trionfi qui regroupe les Catulli Carmina (1943) et le Trionfo di Afrodite (1950/51). Le titre de Trionfi renvoie aux cortèges de masques de la Renaissance italienne où étaient présentés et glorifiés par des allégories, les héros et les divinités antiques. Les Trionfi sont un voyage musical à travers les domaines de la Poésie, de l'Histoire, du monde et de la vie.

On ne présente plus les Carmina Burana tirées d'un recueil de chansons médiévales. La discographie compte de nombreuses excellentes versions : (DGG), (EMI), (EMI). , sans posséder l'engagement d'un Muti, sait redonner vie à cette musique. Son interprétation est assez attentiste, mais le chef d'orchestre édifie une cathédrale sonore où toutes les nuances et les détails de l'orchestration sont audibles. La situation des Catulli Carmina et du Trionfo di Afrodite est plus ouverte et ce disque se place juste derrière l'interprétation indépassable d' (DGG).

Si le Trionfi tire son inspiration de la Renaissance italienne, cette création était un premier pas vers la littérature grecque. Dans les années 1940, le compositeur découvre deux tragédies de Sophocle dans des adaptations de Friedrich Hölderlin dont il tire deux opéras : Antigone (1949) et Œdipe Tyran (1959). Le compositeur, qui reprend l'intégralité du texte, se limite à compléter la déclamation de rythmes et d'intonations créant ainsi un hiératisme et un immobilisme assez perturbateurs. Créé à Stuttgart en 1968, ce Prométhée d'après Eschyle utilise les mêmes artifices rédactionnels. Particulièrement difficile d'accès par son absence de ligne mélodique, cet opéra magnifiquement servi par des interprètes convaincus reste réservé à des germanophiles émérites.

Les deux derniers disques regroupent des adaptations de Monteverdi, compositeur cher à Orff. En 1923, chef d'orchestre à Mannheim, Orff fut tenté par une exécution de l'Orfeo de Monteverdi sur instruments d'époque. Le résultat fut peu concluant et le compositeur s'engagea dans une adaptation pour des instruments modernes. Après un premier essai en 1930, Orff, modifia sa transposition tout en réduisant la longueur de la partition. Cette version définitive fut donnée en 1940 à Dresde sous la direction de . Certes à une époque où le respect de l'authenticité est poussé à son paroxysme, cette version d'Orfeo fera hurler les puristes. Pourtant il faut reconnaître que le talent de l'artiste sait conserver toute la force dramatique de l'œuvre. L'interprétation, portée par l'Orphée si subtil d' et l'Eurydice si musicale de , est de très haut niveau.

On sera plus réservé sur Klage der Ariadne (Lamento d'Arianna) particulièrement ingrat à l'image du vibrato envahissant de Rose Wagemann. Il en va de même de Tanz der Spröden (Ballo dell'Ingrate rappresento) où la volonté du compositeur d'adapter librement les textes de Monteverdi en utilisant les moyens d'expression artistique de notre époque marquent une sévère limite. En dépit d'une équipe d'interprètes engagés, cette pièce sonne comme une compilation du Hindemith le plus sec.

Ce coffret, inégal, à maints égards indispensable pour notre connaissance d'un compositeur majeur, est une initiative éditoriale courageuse et hautement originale. Si le profane y trouvera difficilement son compte, l'amateur de musique du XXe siècle pourra étancher sa soif de découvertes.

(Visited 556 times, 1 visits today)