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Lalo redécouvert

Lalo ? Ah oui ! Le compositeur de la Symphonie Espagnole ! Exact. Et puis ?… Euh ! Peut-être un Concerto pour violoncelle… Lors de la chronique consacrée au coffret Paul Paray, nous déplorions l'actuel manque d'intérêt envers l'œuvre d'Edouard Lalo, qui pourtant constitue l'un des fleurons les plus glorieux de toute la musique française. D'ascendance espagnole, Edouard Lalo (1823-1892) troque la tradition familiale jusqu'alors militaire pour une carrière bien plus hasardeuse entièrement dévouée à la musique. Il nous laisse une cinquantaine de partitions englobant les principaux genres musicaux : orchestre, musique concertante, musique de chambre, mélodie, opéra. Son mariage en 1865 avec une de ses élèves, la contralto Julie Bernier de Maligny, est un événement-charnière à partir duquel sa production, centrée jusqu'alors uniquement sur la musique de chambre et la mélodie, va s'épanouir et s'enrichir en pages orchestrales, musiques concertantes et œuvres lyriques dont la principale sera bien évidemment l'opéra en trois actes et cinq tableaux Le Roi d'Ys, créé à Paris le 7 mai 1888.

Le disque qui nous est proposé ici est particulièrement délectable, que l'on envisage le programme, le soliste, l'orchestre ou son chef. Dans le Concerto pour violoncelle et orchestre en ré mineur (1876), soliste et chef doivent affronter la concurrence redoutable de deux références : le tandem bouillonnant André Navarra – Charles Münch (Erato) et celui plus poétique et subtil de Pierre Fournier – Jean Martinon (DG). C'est vers ce dernier que Torleif Thedéen et , sans pâlir de la confrontation, se rapprochent le plus, avec des moments de tendresse qui émeuvent au plus haut point, témoin le second groupe thématique du premier mouvement, auquel la transparence d'une prise de son de très grande dynamique sonore ajoute un raffinement supplémentaire.

Si rare soit-elle, la Symphonie en sol mineur (1886) n'est pas inconnue des discophiles : déjà Sir Thomas Beecham la portait en son cœur et s'en était fait le champion en une exécution qui a gardé tout son impact (1961, EMI 5629482), avec toutefois une orchestration retouchée à certains endroits et l'absence de la reprise de l'exposition au premier mouvement. Le tout grand défenseur de la musique française et très regretté Antonio de Almeida (1928-1997) nous en a offert ensuite une version très attachante (Philips), puis enfin, plus récemment, Yondani Butt chez ASV (CD DCA709), version qui ne nous a pas été communiquée. La Symphonie de Lalo est l'exacte contemporaine de celle de Franck et de la Symphonie «avec orgue» de Saint-Saëns, sans toutefois en avoir la grandeur et l'impact. Elle n'en est pas moins une œuvre inspirée évoquant parfois l'Ouverture du Roi d'Ys, et méritant les faveurs des concerts et du disque ; le Hollandais nous en offre une interprétation toute de poésie (second groupe thématique de l'Allegro non troppo, et le magnifique Adagio !) mais qui sait se montrer incisive et d'une précision redoutable pour les exécutants, rappelant le punch des interprétations de Paul Paray (le début du deuxième mouvement Vivace faisant office de Scherzo en est particulièrement révélateur). Tout comme le Concerto pour violoncelle, la Symphonie de Lalo est influencée par Schumann ; il n'est donc pas curieux de constater que dans cette dernière, le leit-motiv principal ressemble comme deux gouttes d'eau à l'introduction du Concerto pour piano n°2 de Brahms, alors que l'Ouverture du Roi d'Ys cite textuellement le motif des pèlerins du Tannhaüser de Wagner.

Mais voici pour conclure la très belle partition, bien française celle-là, malgré son exotisme de bon aloi, du ballet Namouna (1881), ou tout au moins six extraits : Prélude ; Sérénade (Scène du balcon) ; Pas des cymbales ; Danses marocaines ; Dolce far niente (La sieste) et Fête foraine. Cette sélection ne correspond donc pas à l'une des suites que Lalo a tirées de son ballet, mais bien à des extraits choisis dans toute l'œuvre au mieux de la continuité musicale. Debussy, pourtant avare de compliments, disait : «Parmi trop de stupides ballets, il y eut une manière de chef-d'œuvre : la Namouna d'. On ne sait quelle sourde férocité l'a enterrée si profondément que personne n'en parle plus… C'est triste pour la musique.» Eh bien, depuis Debussy, on en reparle et on le rejoue : Paul Paray (Mercury), Ernest Ansermet (Decca), et pour les deux suites d'orchestre Jean Martinon (DG) puis Yondani Butt (ASV CD DCA878) se sont liés à cette partition attachante. David Robertson chez Naïve (V4907) nous en a également offert une vaste sélection de seize extraits. Dans Namouna, nous retrouvons les qualités déjà évoquées relatives à , à savoir sensibilité poétique et fermeté rythmique, qualités évidemment nécessaires à la musique de ballet ; par ailleurs son se révèle tout aussi idéal dans la musique française que dans les incomparables Rimski-Korsakov qu'il nous a déjà offerts, toujours chez le label BIS.

Un bien beau disque qui rend pleine justice à et qui fait honneur à ses interprètes.

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