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Don Carlo à L.A., une soirée de force 10

Ce nouveau Don Carlo de , solide, engageant, somptueux, fleure bon ces (bonnes) productions traditionnelles et/ou rebattues, mille fois vues, mille fois confirmées dans leur habileté à plaire, à survivre parce qu'elles vous brossent, sans détours, à grosses touches et en pleine pâte, personnages et situations et vous cernent, sans fausse honte, l'événement tel quel.

Judge adapte ce que l'on appelle ici son «unit set» et le pousse aux limites : le cloître des premiers instants devient ainsi au fil des circonstances et des hasards, et tout naturellement, jardin, place publique, prison. Les mille piliers omniprésents, les très savants éclairages de Duane Schuler, participent, eux, de ce huis-clos étriqué, conformiste qu'est notre Cour dans laquelle, lieu de tous les dangers, de toutes les équivoques, les meilleures intentions s'engluent inévitablement dans les mésaventures (amoureuses), la solitude et l'angoisse. Nous voilà de plain-pied chez Schiller (, en premier de la classe, saura aussi éviter les embûches inhérentes à l'autodafé en brûlant ses hérétiques en coulisses).

Le Don Carlo de possède une énergie, un aplomb étonnants. Dramatiquement. Vocalement. Spontané, fougueux, viril, mais aussi, quand il le faut, lyrique, élégant, il s'impose dès l'»Al chiostro di san Giusto». L'aigu franc, lumineux, péremptoire (cependant soucieux des nuances) rappelle celui, on l'a déjà écrit, de Pavarotti, et c'est exact. Traversé d'émotions vraies, le Rodrigo de , véritable baryton verdien, fait mouche. atteint, lui, aux sommets. Son Philippe n'est plus à dire. Il est tout simplement époustouflant. Le drame n'est pas vécu. Il est, c'est tout… Pour exemple, la réaction épidermique, intériorisée et si violente du roi lorsque son fils, par affection, ose lui toucher le bras. Toucher le Roi ! Il Re !….. Un chef-d'œuvre de caractérisation. Son «Ella giammai m'amo» sera, lui aussi, une merveille de sobriété et d'émotions. Eric Halfvarson qui mène son roi à la cravache, sait éviter la caricature et campe un superbe Inquisiteur, au grave audible et pulpeux. L'Eboli de , fulgurante dans ses confrontations, cependant si vulnérable lors de sa cruelle prise de conscience («Voi la regina amate»), crève l'écran. , qui ne manque ni de tendresse, ni de charme, ni de naturel, sait, elle aussi, dessiner un personnage, en peindre les élans, les sentiments… et nous émouvoir. Quant à la voix : un aigu ravissant, un suraigu éthéré, au colorisme rêveur («Ma lassù ci vedremo»), un médium suffisamment charnu, une ligne de chant sobre et contrôlée, un legato maîtrisé, des registres parfaitement soudés… Je continue ?

Au pupitre d'un orchestre surexcité qui lui obéit au doigt et à l'œil, , absorbé, vautré dans cet immense chef-d'œuvre, capture l'essence pleine de ce Don Carlo avec punch et poésie. Un somptueux plateau, fortement homogène et convaincant (parce que convaincu), une imposante production (traditionnelle mais suffisamment solide) dament le pion à la Traviata de la veille au soir.. C'est ce Don Carlo, superbement abouti, qu'il fallait filmer !…

Crédit photographique : © Robert Millard

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