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Vivaldi : Grisante Griselda

Depuis la nouvelle de Boccace Griselidis, qui clôt le Decameron, le personnage de Griselda aura inspiré plusieurs compositeurs, d'Alessandro Scarlatti à…Massenet (Griselidis), en passant par Giovanni Battista Bononcini (1670-1747) et Niccolo Piccini (1728-1800).

René Jacobs (chez Harmonia Mundi) nous donnait, en 2000, une remarquable version de La Griselda de Scarlatti, laquelle s'appuie, tout comme celle de Vivaldi, sur le livret original d'Apostolo Zeno, livret qui connaîtra bien des révisions. Et c'est à celle de Carlo Goldoni que nous devons cette vivaldienne version.

L'édifiante série d'épreuves infligées par son cruel époux (Gualtiero) à l'héroïne-titre (autre vision des Infortunes de la Vertu) fournit ici, au compositeur, matière à prouver son talent dramatique. Mais on avait compris, depuis le fameux Vivaldi Album (Decca) de Cecilia Bartoli, la Juditha triomphans (Antonio de Marchi), l'Olimpiade (Rinaldo Alessandrini) et, tout particulièrement, les deux enregistrements de (tous chez Naïve) : La Verità In Cimento et Orlando Furioso, on avait bien compris qu'enfin, sous le concerto, éclatait l'opéra. Et ce n'est pas fini ! Pour notre plus grand plaisir. Un plaisir d'ailleurs doublé quand, comme c'est le cas ici, les bienvenus et judicieux da capo de Damien Colas nous permettent de remettre, avec gourmandise, le couvert….

Un plaisir, enfin, qu'on souhaiterait partager, tant manifestes apparaissent les qualités de ce splendide album, tant nous comblent les interprètes réunis ici ; à commencer par le chef Spinosi, à la direction toujours aussi nerveuse et électrisante (mais qui progresse en souplesse), caressante dans le lyrisme cantabile et soucieux de dynamique contrastée. Que soit louée aussi l'irréprochable contribution de l' : cordes et cors naturels au mieux de leur forme. Quant au plateau vocal, il nous semble de ceux qu'on dit « de rêve » ! (qui, au passage fait mentir l'adage selon lequel Lemieux…serait l'ennemi du bien) trouve, dans le rôle-titre, les justes accents du personnage ; toujours à l'aise dans son registre, ses graves n'ont rien à envier à Sonia Prina. , en Roberto, nous transporte dans des sphères séraphiques et le jeune ténor , avec un timbre à la Dermota, et toujours de parfaite justesse, fait oublier la « cruauté » de son personnage.

Pour leur part, les deux soprani et , aussi époustouflantes dans la véhémence et l'ébouriffante vocalise que bouleversantes dans le canto dolente, méritent une distinction particulière. Et l'air de Costanza () : « Agitata da due venti » (acte II) tout comme celui d'Ottone () : « Dopo un'orrida procella »(acte III), n'ont pas à rougir de l'inévitable comparaison avec l'interprétation de Cecilia Bartoli. Osons même dire que, sur le plan de la justesse, de la clarté d'articulation dans les vocalises, un léger avantage reviendrait à (tout en reconnaissant que, isolée de son contexte dramatique, une telle Aria prend nécessairement valeur démonstrative). Le contre-ténor , enfin, pur produit de l'école anglaise, si riche de talents dans ce registre, endosse parfaitement le rôle de Corrado et contribue harmonieusement à l'homogénéité enchanteresse de ce plateau.

Pour toutes ces raisons, auxquelles il convient d'ajouter l'argument d'une très belle prise de son, aérée et équilibrée, cet enregistrement est à considérer comme un indispensable de la discographie vivaldienne et comme l'un de ses plus beaux fleurons.

Mais qu'il nous soit permis, à propos de cette Vivaldi Edition, d'émettre une toute petite réserve, d'ordre purement esthétique (oui, certes, les goûts et les couleurs…) qui tient à ce parti- pris de froideur toute nordique qui caractérise la plupart des portraits (essentiellement féminins) illustrant les pochettes de la série, et qui nous semble relever davantage d'une publicité pour quelque produit cosmétique que de toute allusion au divin rouquin de Venise…

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