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Madame Butterfly à Rouen : Eclatant Puccini

La salle est plongée dans l'obscurité, le rideau n'est pas encore levé lorsque, clairs et sonores, les premiers accords de Madame Butterfly jaillissent, impétueux, du silence qui les contenait.

Ouverture franche qui saisit le public pour ne plus le lâcher une mesure jusqu'au dernier accord étouffé, comme happé par le silence dramatique qui reprend ses droits, ensevelissant la pauvre Cio-Cio-San poignardée par son espérance trompée, que le rideau sans attendre la fin de l'acte recouvre d'un voile pudique et honteux. La passion qu' a nourrie au fil des répétitions et du travail avec son complice , la conviction de ce dernier que tout est dans la musique de Puccini, que celle-ci se suffit à elle-même, l'extraordinaire unification que Rie Hamada réalise entre sa culture japonaise et son inculturation occidentale ont fait de cet opéra un succès absolu. Succès servi par des voix extrêmement précises, sures et claires que portaient des chanteurs de talent, des acteurs qui ont su faire corps avec leur personnage. L'incontestable génie de Puccini mériterait une exégèse musicale mesure par mesure. La richesse tant évocatrice que psychodramatique se retrouve dans chacune des notes, dans le choix judicieux et équilibré des leitmotivs. a su tirer la substantifique mœlle du génie puccinien et l'imposer à son orchestre. La sonorité si chaude et juste des violons qui caractérise l'orchestre de l'opéra a su porter l'extrême souplesse des fortissimo, leur donnant une âme, s'épousant à merveille avec les chœurs et les voix. Tout s'est enchaîné de naturel, jusqu'aux silences si habités. Le drame s'est étendu de bout en bout, tenant en haleine le spectateur allant jusqu'à compatir à la longue veille de Cio-Cio-San.

Selon son habitude, a souhaité une scène d'une sobriété extrême. Quelques accessoires, un décor de lumière dans le quel se fondait à merveille les costumes des figurants et des choristes, ont laissé la place à la musique. C'est à Puccini lui-même qu' a laissé le soin d'orner la scène de ses notes. Lumières tamisées, draps blancs et ombres chinoises, il n'en fallait pas davantage pour être transporté à Nagasaki, pour se surprendre à scruter la mer avec Cio-Cio-San. Si un livre entier serait trop court pour analyser et interpréter cette œuvre majeure de Puccini, la mise en scène d'Alain Garichot en est une saisissante évocation. Les regards, les visages, les attitudes des corps disent à eux seuls plus que des pages de littérature, le drame de Butterfly. Jeune femme japonaise orpheline et prisonnière de son destin, sa vie est toute tracée par la coutume, la famille, en un mot par sa naissance au Japon. A quinze ans déjà elle a compris ce que serait sa vie et en épousant Pinkerton elle la refuse. Loin d'être le goujat qu'on en a fait, Pinkerton ne comprend pas le drame de cette femme. En est-il amoureux ? Est-il amoureux d'un jour ? S'il sait au fond de lui que ce mariage est une mascarade, il se rend compte pourtant inconsciemment que quelque chose le dépasse. est absolument magistral dans ce combat intérieur entre le Yankee un peu léger et l'homme attentionné qui se laisse toucher par ce quelque chose qui le dépasse, alors qu'il perçoit qu'il s'est peut être trompé. Pris dans ce combat il enracine Butterfly dans son espérance d'échapper à son destin. D'une façon discrète, mais ô combien admirable, Alain Garichot prend tout l'acte I pour faire peu à peu sortir Butterfly de sa chrysalide, tandis que la Geisha laisse éclater sa joie. Joie insouciante pourtant ternie par l'orchestre qui rappelle combien cette espérance est mal enracinée. Joie irréelle que suggèrent les mains tendues des deux époux sur lequel l'acte se referme sans qu'elles n'aient pu se rapprocher, comme les deux mondes qui les séparent. Deux mondes que la connaissance et la sensibilité d'Alain Garichot savent tout à la fois entrelacer et distinguer, tout comme Puccini dans sa musique. Assurément une réussite absolue d'interprétation musicale et scénique au service d'une partition magistrale de génie et de subtilités.

Crédit photographique : © Franck Galbrun

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