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La victoire de Puccini sur la contestation

Devant le fond de scène tendu d'un drap noir, quelques estrades, quelques sièges forment le décor unique de cette insolite Turandot.

Suivie par les éclairages crus, blancs ou bleu-nuit d', une nacelle métallique descend des cintres. A son bord, vêtu d'un smoking et d'une chemise blanche, un personnage s'adresse à la salle en chantant : « Popolo di Pékino ! ». Malgré son exhortation, nous ne sommes pas en Chine, mais peut-être sommes-nous des Chinois livrés aux ordres de l'unité opprimante d'un système totalitaire. Comme la majorité du public, les personnages sont vêtus de noir, qui en frac, qui en jogging intégral, qui encore en robe de satin. Le chœur groupé entame une lente ronde enserrant dans sa masse le corps dénudé du prince de Perse promis à la décapitation. Puis lentement, tous s'enfoncent dans la fosse, pour réapparaître bientôt parfaitement alignés. Images saisissantes renforçant le climat musical intense des pages pucciniennes.

Cette première scène force l'émotion. Le climat qu'elle installe est insoutenable. Mais bien vite, le procédé se répète. Peu à peu, ce sont les mêmes clichés, avec les mêmes mouvements de foule, les mêmes enfoncements du chœur, les mêmes réapparitions. Le même déjà-vu. conjugue ses scènes avec les mêmes ingrédients. Les images sinistres du début perdent alors de leur pouvoir de fascination. Sa direction d'acteurs semble se limiter à ces seuls mouvements de foule. Pour souligner les hiérarchies en présence, il place ses personnages principaux telles des statues sur des plates-formes s'élevant ou s'abaissant en fonction de leurs discours d'autorité. Le peuple et les nouveaux arrivants restent au niveau de la scène. Il faudra attendre la scène finale pour que Turandot conquise malgré ses dénégations se mette au niveau de Calaf. En voulant illustrer cette fable terrifiante en s'appuyant sur l'aspect psychologique supposé des personnages, le discours scénique de Ronconi se confine dans un certain hermétisme. En opposant la toute puissance de Turandot à l'égocentrisme conquérant de Calaf, le metteur en scène italien passe à côté du simple fait de raconter.

Subsiste alors la musique et les élans d'un chœur admirablement préparés. Sous la direction vigoureuse du chef chinois , le Chœur et l'Orchestre du Teatro Regio font éclater la musique de . Comme une force dévastatrice, elle dévale des travées du théâtre pour submerger un public réceptif à la richesse des orchestrations du Maître de Torre del Lago (confirmant la relative pauvreté de celles de Franco Alfano, le finisseur de l'œuvre inachevée de Puccini).

La première représentation de cette production programmait le ténor . Comme le souvenir de sa prestation zurichoise laissait dubitatif sur sa capacité d'aborder le rôle avec l'humilité nécessaire à la musique de votre serviteur a préféré s'intéresser à la vision d'un autre soliste. Le ténor italien assurait la seconde distribution. Quoique abandonné sans véritable direction d'acteurs, s'appuie sur son instinct et son immense métier pour composer un personnage que sa voix ne peut malheureusement plus soutenir sans tricheries. Si son « Nessun dorma ! » est loin de rejoindre des sommets, force est de reconnaître qu'à 65 ans, sa prestation reste d'une étonnante jeunesse. Son professionnalisme extrême permet néanmoins d'apprécier la grande qualité de sa diction, chose de plus en plus rare chez les chanteurs actuels. À ses côtés, la soprano s'acquitte de l'écrasant rôle-titre dans une apparente totale décontraction. Depuis bientôt vingt ans que la soprano porte ce rôle sur les scènes des théâtres lyriques du monde entier, sa voix n'a pas pris une ride. Sans stridence, elle reste un modèle de projection vocale. Si Angela Marambio (Liù) montre une voix d'une rare beauté, elle peine cependant à incarner son personnage, sa technique vocale encore limitée ne lui donnant guère l'aptitude d'envoyer les pianissimi que le rôle requiert. Des autres rôles, on retiendra la belle présence vocale de (Timur) et celle, prometteuse, du baryton (Ping)

La presse locale s'étant faite l'écho de la protestation de devant les coupes drastiques des fonds dévolus à la culture, le metteur en scène avait laissé entendre que sa mise en scène reflèterait sa révolte. Peut-être faut-il rechercher là, cette impression d'inaccompli que laisse son travail. Décor minimaliste, costumes sans recherche, reste que le défi est apparu trop grand pour que le message de contestation du metteur en scène fasse mouche. Mais en définitive, la victoire revient sans conteste à l'œuvre puccinienne et à sa formidable interprétation orchestrale et chorale.

Crédits photographiques : © Ramella & Giannese

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