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Mélisande sans ses longs cheveux

Le Musée d'Orsay a l'excellente idée de reproposer ce Pelléas et Mélisande précédemment donné en 2004.

Bien sûr, il ne s'agit « que » de la version piano, étape de composition précédant l'orchestration, bien malin celui qui pourrait faire entrer un orchestre complet dans l'auditorium, mais il faut avouer que la science pianistique de Debussy est telle qu'on entend toutes les subtilités harmoniques voulues par le génial compositeur, et que l'on n'est à aucun moment gêné ou surpris par cette mouture, d'autant plus que le pianiste, , est vraiment excellent. Pendant presque trois heures, il ne faiblit pas une seconde, et c'est bien grâce à son jeu subtil, tour à tour gracieux ou fiévreux, que l'on entre sans heurt dès les premières mesures dans l'univers sonore debussyste.

Ce Pelléas possède deux autres excellents atouts, en premier lieu la mise en scène intelligente et sensible de . Un plan incliné, deux portes, un fauteuil et un miroir, c'est tout ce qu'il lui faudra pour recréer l'univers sombre du royaume d'Allemonde. Juste ces quelques accessoires, et une direction d'acteur tirée au cordeau. débarrasse la scène de tout ce qui peut sembler kitsch aux spectateurs du XXIe siècle (et qui ne l'est pas tant que cela, si on veut bien y réfléchir). Ainsi, il n'y aura pas de tour, ni de cheveux qui en dégringolent, Mélisande à cet instant feuillette un album photo et sourit à son image, tandis que Pelléas jouera avec un simple foulard, Yniold ne rencontre pas de moutons (scène toujours délicate à ne pas rendre ridicule), mais, en pleine révolte adolescente, imagine un jeu avec des boulettes de papier…

Le metteur en scène insiste en revanche sur les relations entre les personnages, sur le désir physique que ressentent les héros, sur la violence de Golaud, qui n'est pas déclenchée par la jalousie, mais fait partie de son caractère bien avant sa rencontre avec Mélisande. La scène de la tour devient un véritable numéro de séduction de Pelléas envers une Mélisande qui ne peut pas réprimer son envie de le toucher, de l'embrasser, le petit Yniold paraît terrorisé par son père avant même que celui-ci ne hausse la voix, et le vieil Arkel ne semble pas surpris des accès de rage de son descendant. Une vision passionnante.

Pour réussir ce petit miracle de subtilité, il fallait une troupe de bons acteurs-chanteurs, et c'est là le deuxième atout de ce spectacle, en la personne de , sublimissime Golaud. Celui qui fut le Pelléas de sa génération s'est métamorphosé avec le temps en son frère aîné, et y est devenu absolument inégalable, à la fois vocalement et scéniquement. La voix est belle, expressive, l'interprète est déchaîné : violent, cauteleux, torturé, tous les registres y passent en quelques secondes… et l'auditeur reste scotché.

est une Mélisande bien loin des princesses éthérées qui bafouillent des mots sans suite en regardant dans le vague. Son héroïne est charnelle, remplie de désir, terrorisée par son époux, bourrelée de culpabilité, et parfaitement consciente. La voix pleine et pulpeuse, la diction sans reproche de la soprano se prêtent admirablement à cette vision. Ainsi, toutes les phrases qui semblent plus ou moins ésotériques dans le livret prennent-elles subitement un sens.

Nous serons plus réservés sur le Pelléas du baryton . Ce n'est pas tant une question de voix, bien que les extrêmes de la tessiture soient assez problématiques, qu'une question de nuances, de variation de couleurs, de dynamique. Son interprétation un peu monochrome manque de charme, de jeunesse, de relief, et pâlit du voisinage des deux artistes précités.

Yniold est interprété par un jeune soliste de la maîtrise des Hauts de Seine/ Chœur d'enfant de l'Opéra National de Paris, . Il fait ce qu'il peut, et sa prestation est bien en place, mais il n'est jamais agréable d'entendre dans ce rôle une voix d'enfant, par définition blanche et sans vibrato. Il s'agit d'un choix de crédibilité, ce qui est tout à fait compréhensible, surtout dans une telle mise en scène, mais le chant n'y trouve pas son compte.

Le seul reproche qu'on pourrait adresser à est de s'être polarisé sur le trio maudit, et de ne pas s'être intéressé aux personnages secondaires. De ce fait les très bien chantants Arkel (Philippe Kahn, excellent, dans la lignée d'un roi autoritaire), Geneviève () et Médecin/Berger (Thill Mantero) semblent un peu raides et monolithiques. Un spectacle fort, et qui marquera durablement les esprits.

Crédit photographique : © Philippe Léonard

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