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Un vaisseau fantôme inspiré par la sobriété

S'il est aisé de faire des choix d'interprétation pour certaines œuvres, on ne peut pas dire que ce soit vraiment le cas pour le Vaisseau Fantôme.

Le chef d'orchestre, comme le metteur en scène, se trouvent souvent prisonniers d'une habitude interprétatrice, de clichés issus de vieilles traditions. Pourtant, et ont résolument tranché : le Vaisseau Fantôme est un poème symphonique dans lequel le vaisseau n'est autre que l'orchestre. Il est vrai qu'avec le Hollandais Volant, nous sommes encore loin de l'art total de Bayreuth. Comment, alors, considérer cette œuvre, traditionnellement lue comme un tournant dans l'art de Wagner ? Il semble qu'en faisant ce choix, le tandem déjà remarqué dans Madame Butterfly, dépoussière ce vieux vaisseau.

La lumière, les panneaux de fond de scène épousent à souhait les humeurs du vaisseau que pilote . Les chanteurs, sobrement habillés de noir, utilisent l'orchestre comme décor, tantôt à la proue, tantôt dans le port, parfois dans le lointain. Au centre de la scène, sans autre artifice que la couleur des lumières, l'orchestre est bien celui qui nous conduit d'un personnage à l'autre, d'une mer à une autre. C'est bien lui qui, au son des vagues wagnériennes, au sortir de la tempête, nous prend à son bord pour nous enfoncer majestueusement avec le Hollandais et Senta dans le salut éternel que la fidélité de la femme aimante ouvre au damné. Le choix d'un Wagner sobre était courageux. Mais il en faudrait bien plus pour effrayer lorsqu'il est sûr de sa lecture d'une œuvre. Pari réussi si l'on en juge les longs et chaleureux applaudissements du public rouennais. Pari réussi au regard de l'œuvre elle-même, désormais éclairée d'un jour nouveau. Bien sûr les prémices du Wagner grandiosissime étaient présents, particulièrement dans l'excellence des soufflets, toujours bien menés, si pleins de vie et de présence. Les fortissimi du troisième acte, à n'en pas douter, étaient du grand Wagner. Mais au-delà encore, c'est dans la fragilité tranquille et résolue du Hollandais, campé magnifiquement par , que nous pouvions retrouver le vécu wagnérien qui inspira l'œuvre après le naufrage du Thétis.

La force de la mer, toujours présente dans les vagues de l'orchestration, contrastait avec la douceur du drame. La force du Hollandais qui aurait pu être terrifiante, se fait fragile devant son destin et devient délicate au contact du salut tant espéré qu'incarne une Senta aussi captivée que captivante. Sa voix d'or montait haut par-dessus les chœurs et l'orchestre, comme la mer indiquant le salut du marin. Une voix qui vivait, qui vibrait d'émotion, de puissance et dont la justesse du chant ne pouvait que souligner la justesse d'un cœur pur dévoué à sa mission salvifique. Le couple central, fragile et émouvant, embarqué sur le navire orchestral aussi puissant qu'invulnérable, fut porté de bout en bout par des chœurs d'hommes tour à tour fiers, tragiques ou joyeux, mais imperturbablement présents. Le chœur de femme manifestait en revanche quelques difficultés à prononcer l'allemand, entraînant de malheureuses approximations, notamment dans l'air du rouet. De même, comme nous pouvons parfois le remarquer avec l'orchestre de l'opéra de Rouen, les cuivres étaient peu précis dans leurs attaques, ce qui contrastait avec l'excellence du pupitre de violon qu'il convient de souligner une fois encore.

C'est en tout cas ce vaisseau rouennais qu' entraîne depuis 1998 vers des cimes toujours plus hautes, en faisant ainsi un des rares orchestres de province invité Salle Pleyel, pour offrir ce vaisseau dans lequel la lourdeur du drame s'efface devant la frêle espérance.

Crédit photographique : © Franck Galbrun

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