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Alexandre Desplat: volupté et raffinement pour Le Voile des Illusions

En 1922, à Londres, un grand bactériologiste découvre que sa femme Kitty le trompe. Il décide de l'emmener en Chine, où il doit combattre le choléra : leur voyage transforme profondément la jeune femme. Tel est très brièvement le sujet du film Le Voile des Illusions (The Painted Veil)…

Rarement une musique de film n'a été aussi attendue… Après avoir fait l'objet d'un grand article dans le New York Times, fait rarissime pour un compositeur de films, qui plus est français, , collaborateur désormais chéri de Hollywood (La Jeune Fille à la Perle, Hostage, Birth, Syriania…) a remporté un Golden Globe 2007 pour la musique qu'il a composée pour ce film adapté d'un roman de Somerset Maughan. De plus, la musique du jeune prodige français est parue chez un label exigeant : Deutsche Grammophon, et est interprété par un jeune pianiste virtuose chinois : . De quoi susciter davantage l'impatience !

A la première écoute le disque est terriblement décevant : un peu long et a priori pas très original (trop souvent, des ostinati rythmiques servant de base à des mouvements obliques, des gammes pseudo-romantiques au piano qui frisent le ridicule)… mais cette relative déconvenue, à la mesure de l'attente suscitée, est compensée par d'autres qualités qui ne se révèlent qu'au fil de l'écoute : il faut tendre l'oreille, ne pas se contenter d'une écoute superficielle et s'attarder sur les détails de la partition (harmonie et instrumentation).

Car ne travaille pas à Hollywood qui veut. Le Voile des Illusions étant un récit initiatique, la partition de Desplat opère une curieuse synthèse entre plusieurs traditions, sans qu'on en ressente jamais les particularités. A l'orchestre se mêlent une guitare basse, des sons électroniques, un violoncelle électrique dont la sonorité rappelle parfois la scie musicale ou une flûte extra-européenne, et bien entendu le piano virtuose de , sans l'interprétation duquel, il faut bien l'avouer, cet enregistrement aurait beaucoup moins de saveur.

Desplat mélange tout cela avec un goût exquis : les qualités d'orchestrateur du compositeur français se révèlent ici dans toute sa splendeur. Ce qui est déroutant la première fois, c'est la diversité des atmosphères, diversité qui peut a priori faire penser à de l'incohérence… Entre le grandiose du générique (The Painted Veil), la douceur ravelienne des bois de Kitty's Theme, les notes bleues de la valse de River Waltz, les nappes angoissées de Death Convoy, les sonorités tribales de The Water Wheel, la beauté magique et étrange de Promenade ou de Morning Tears, les percussions exotiques de Kitty's Journey, l'inquiétante polytonalité de The Deal, l'exaltante légèreté de The Convent, la sobriété triste de The End of Love et The Funeral, déploie un éventail de sensations musicales qui font palpiter les oreilles (le mixage de l'ensemble est par ailleurs superbe).

Au final, la musique du Voile des Illusions, à mi-chemin entre le minimalisme américain, Satie (dont l'une des Gnossiennes apparaît dans le disque, sans aucunement jurer avec le reste), Stravinsky, Ravel et Tchaïkovski et, est à l'image de sa pochette : éthérée, vaporeuse, fuyante, exotique… tout en couleur et en nuances…

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