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Götterdämmerung à Cologne

Le Ring en deux jours, c'est une épreuve pour les artistes bien sûr mais également pour les spectateurs. Heureusement, la direction de l'Opéra de Cologne bien a prévu pour les entractes et pour les intervalles entre les œuvres des salons de repos et un service de restauration.

Scéniquement, ce Crépuscule des Dieux est encore de très bonne facture, et contient quelques scènes très réussies, dont le prologue, qui reprend le thème de la scène entre Wotan et Erda dans Siegfried : le Walhalla est en liquidation totale, tout le mobilier est empilé, et les Nornes-femmes de ménage passent la serpillière en attendant qu'on débarrasse les encombrants. Les scènes dans le palais des Gibischungen sont également très belles. Celui-ci est une réplique du luxueux Walhalla de Walküre, mais le cadre est plus militaire et plus austère. Un bureau digne d'un empereur a remplacé les canapés, des drapeaux sont déployés, et des cartes d'état-major couvrent les murs gris. Dans ce beau décor, les mouvements de foule sont bien réglés, les acteurs crédibles, et le rêve de Hagen, somnolant dans le fauteuil de Gunther, très bien réalisé.

Pour ce dernier volet, la distribution réalise des prouesses, et hisse ce Crépuscule au sommet de ce week-end, loin devant les autres journées, pourtant déjà fort belles. La seule déception véritable est causée par Albert Bonnema en Siegfried. La voix est dure et métallique, le chant rugueux et peu élégant, et il fait entendre quelques couacs dans les aigus. Il est assez crédible scéniquement, et va au bout de son rôle, avec puissance et vaillance, mais ce chant sans nuances est bien fatigant, et la comparaison avec Stefan Vinke est cruelle, bien que ce dernier n'ait pas été du tout exceptionnel. Nous ne nous étendrons pas sur la toujours insuffisante , qui assure deux rôles pour cette journée. Endurante, elle est une Waltraute à l'expressionnisme vocal outrancier, et une première Norne gutturale. Ce trio de Nornes est d'ailleurs assez désaccordé, franchement peu intéressant, et augure mal d'une représentation dont la suite va pourtant être formidable.

Il y a beaucoup d'éloges à faire du reste du plateau, à commencer par , dont on attendait beaucoup après son superbe Donner. Il est un peu moins à l'aise en Gunther, qui sollicite plus un registre grave qui n'a pas encore toute l'étoffe nécessaire. Cependant, le chant est toujours aussi royalement stylé, et les aigus ont tout l'éclat et la vaillance nécessaires. De plus, il habite son personnage, nuancé, profond et subtil. James Mœllenhof a le problème inverse : des aigus assez forcés, mais un grave riche et profond. Le chant est puissant, investi, mais jamais beuglé, et toujours très contrôlé. Il se trompe un peu dans ses appels, et sa phrase finale est escamotée par la production, ce qui lui vaut quelques huées très injustes. On compte encore dans cette distribution le très bon Oskar Hillebrand en Alberich, , une Gutrune à la voix pleine et chaude, sans acidité, ainsi que des filles du Rhin fraîches et séduisantes.

Ce beau plateau ne serait rien sans une grande Brünnhilde, et Irène Theorin l'est ici, encore plus que dans la Walkyrie de la veille. La voix est fine et claire, mais aussi puissante et solide, et elle n'a aucun mal à dominer un orchestre pourtant déchaîné. Elle accapare l'attention dès sa première apparition sur scène, est une amoureuse très crédible avec Siegfried, mais se montre émouvante et impérieuse quand elle l'accuse de trahison. C'est cependant son immolation qui restera gravée dans les mémoires : à rideaux fermés, elle est seule face au public, et donne tout ce qu'elle peut, en ne sacrifiant jamais une seule seconde la qualité du chant. C'est intense, bouleversant, et les spectateurs savent devant cette chanteuse qu'ils ne l'oublieront jamais.

La direction de continue à être équilibrée, fiable et efficace. Le chef ne marque pas vraiment les esprits, mais il va au bout du parcours, sans accroc, en ménageant ses troupes. L'Orchestre du Gürzenich arrive cependant dans ce dernier volet à ses limites de résistance, étant de plus en plus confus et fatigué. Les cuivres sont ceux qui ont le plus souffert, livrant quelques passages proches du chaos, dans les interludes orchestraux principalement.

Le public est encore une fois formidable ce soir, attentif et enthousiaste, il participe pleinement au spectacle, communiquant son amour et son envie à ses acteurs. Les ovations entre les actes et au rideau final sont longues, chaleureuses et pleines de gratitude, et une belle standing ovation se déclenche lorsque apparaissent sur scène et son valeureux Gürzenich-Orchester.

On est dimanche, il est presque minuit. Trente six heures plus tôt, ce Ring inoubliable n'avait pas encore commencé. On sort de cette expérience passionnante ravi, fatigué, et reconnaissant à l'Opéra de Cologne d'avoir tenté ce pari qui semble insensé, et dont le niveau artistique est de très haut niveau, alors qu'on aurait pu croire au départ qu'il serait sacrifié devant la performance qu'on peut qualifier de «sportive».

Notre conseil pour terminer : wagnériens passionnés ou wagnériens plus néophytes, si l'Opéra de Cologne retente un jour ce pari, courez-y, vous ne le regretterez pas !

Crédit photographique : © Klaus Lefebvre

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