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Lang Lang : confusion culturelle

Le XXe siècle avait connu une vive polémique qui débattait de l'habilitation de Vladimir Horowitz et de György Cziffra au grade de géants du piano. Le phénomène alimente, de manière sans doute plus violente, un même débat, qui consiste à savoir si un pianiste maître des bis, démonstrativement virtuose, peut être accepté au panthéon des grands du clavier. Le récital donné par le jeune virtuose n'est pas le premier à susciter de vives contestations, avec d'un côté un public galvanisé et de l'autre une presse déployant critiques au vitriol. Cependant, la scission du programme en deux parties esthétiquement différenciées peut structurer le débat.

n'a défiguré ni Mozart, ni Schumann. Les digressions rythmiques (précipitations dans quelques traits des mouvements extrêmes, pulsation peu rigoureuse) qui affectaient la sonate sont celles d'un amoureux de musique qui ose jouer Mozart et ne se contente pas de le susurrer. Quant à la Fantaisie de Schumann, elle était indéniablement réussie : l'équilibre des plans sonores, la subtilité du rubato, l'ambiguïté Eusébius/Florestan (quel panache dans le deuxième mouvement !) n'ont pas fait défaut à son interprétation. Pourtant ces qualités de jeu ne pouvaient suffire à construire deux interprétations abouties. Déjà dans ces deux œuvres manquait une dimension qui trahissait les limites d'un pianiste trop primesautier. L'art de est celui du premier degré : de nombreux signes physiques semblent faire comprendre que les œuvres qu'il affectionne ne sont pour lui que de la belle musique. S'il est maître de ses doigts, Lang Lang l'est certainement moins de lui-même. La deuxième partie ne fera que confirmer ce pressentiment.

Quand le pianiste fait annoncer, par une séduisante interprète, le titre des pièces traditionnelles qu'il va interpréter, la bonne humeur affectée et convenue du public (riant pour rien) dérange. Dès lors on devine que le sourire ébahi qui accompagnait l'exécution de Mozart et Schumann sera de mise pour le reste du récital. La confusion commence là. Et lorsque ladite musique traditionnelle se révèle vite être un camaïeu d'influences européennes maquillé de chinoiseries improbables, le malaise ne fait que se renforcer. Certes l'écoute de ces pièces est agréable, mais la place de ces œuvres au milieu du récital est discutable.

La fin du concert entérine le verdict : Granados, merveilleux de virtuosité, précède deux œuvres de Liszt démonstratives. La Rhapsodie n°6 est tambourinée avec frénésie, les basses du piano sont violentes, et l'effet de transgression imparable…

Bigarré, démonstratif, accessible, le programme du récital est de ceux que l'on concocte pour le grand public. Seulement un récital au Théâtre du Châtelet, au sein de la série Piano**** (dont la présente saison sera clôturée par Maurizio Pollini) peut-il être si ostentatoirement grand public ? Lang Lang a plusieurs fois affirmé que l'un de ses buts était la diffusion et la promotion de la musique classique. Mission honorable, mais qui dans son cas passe par une inévitable vulgarisation de la musique de tradition écrite. Si Lang Lang a sa place dans les stades de football, sans doute est-il peu adapté aux grandes salles parisiennes.

Cependant, réceptif autant à la virtuosité tape à l'œil qu'à l'émotion affectée (comme en témoigne la Rêverie de Schumann dégoulinante donnée en bis), l'auditoire a dit haut et fort ce qu'il aimait. On n'a donc pas fini de réentendre Lang Lang à Paris, puisque le public a voté, et que nous sommes en démocratie.

Crédit photographique : © Kasskara / DG

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