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Rigoletto à Nantes, plus fort que la malédiction

Après Lausanne et Marseille, co-producteurs du spectacle, Angers Nantes Opéra nous propose de retrouver Rigoletto dans la vision de facture classique d'.

Ayant écarté toute tentation de relecture ou d'actualisation, le metteur en scène nous conduit dans une Renaissance cynique et cruelle, en s'appuyant sur l'astucieux dispositif d'Alessandro Camera (un décor unique, évoquant le cabinet d'étude du duc, dans lequel des éléments imbriqués viendront nous révéler les changements de lieux) et sur les somptueux costumes de . Le drame est d'une parfaite fluidité et d'une parfaite lisibilité, avec notamment une scène d'orage très réussie, et les personnages sont caractérisés avec précision. nous propose un travail sobre, intelligent et toujours très esthétique. Tout au plus regrettera-t-on que le dispositif scénique handicape quelque peu les mouvements des protagonistes au troisième acte et nuise en particulier à l'impact du duo final « Lassù in cielo » en imposant une distance inutile entre le père et la fille.

Le baryton mexicain domine la distribution avec une puissance, une densité de timbre, une longueur de souffle et une variété de couleurs qui l'imposent parmi les grands titulaires du rôle et infligent un démenti à ceux qui seraient tenté d'affirmer que le baryton verdien s'est éteint avec le retrait des scènes de . Sa connaissance du rôle lui permet de plus de dresser du bouffon un portrait approfondi, soulignant sa force menaçante comme sa faiblesse, antipathique à la cour mais touchant dans sa douleur paternelle, aussi convaincant dans la morgue que dans la souffrance. Quelques rares notes aiguës manquant de densité ne sauraient ternir une prestation de haut niveau, culminant comme il se doit dans un « Corteggiani » déchiré et poignant.

Sabina Puertolas soulève quelques inquiétudes à son entrée, avec une émission manquant de netteté et quelques duretés dans l'aigu, mais dès un » Caro nome » racé et justement salué, la musicienne révèle sa sensibilité tandis que la cantatrice assoit son instrument. Au cours des deux derniers actes, le charme opère pleinement, le déficit de virtuosité de la cantatrice étant largement compensé par la qualité du timbre, la précision des piani et l'intelligence de l'interprétation. Sa Gilda, d'une grande beauté scénique de surcroît, nous bouleverse par sa sincérité au moment du sacrifice.

Nous n'aurons pas la même indulgence pour le ténor colombien Cesar Augusto Gutierrez, à la voix engorgée et privée d'assise technique, incapable de chanter en dessous du mezzo-forte, qui livre une prestation insuffisante et parfois débraillée, se contentant pour emporter l'adhésion d'un public pas forcément dupe, de chercher l'effet en prenant la pose pour des aigus histrioniquement tenus. Vladimir Matorin possède l'ampleur des grandes basses slaves et nous offre un Sparafucile caverneux et exotique, d'autant plus diablement inquiétant et imposant que l'acteur possède une stature de colosse. , sans démériter, reste une Maddalena de format modeste, tendant à disparaître dans les ensembles. Au sein des seconds rôles, on relève surtout la voix saine de Richard Burckhard.

Le chef Marco Letonja privilégie une lecture brillante et emporte fosse et plateau dans un bel enthousiasme, au risque de perdre momentanément de vue les dosages sonores et de couvrir parfois les voix. Le résultat est toutefois globalement convaincant, avec la participation énergique d'un orchestre en bonne forme et d'un chœur masculin qui confirme la qualité du travail accompli sous la direction de . En ce jour d'élection, nous pouvons affirmer qu'une affiche au moins aura tenu ses promesses : celle de ce Rigoletto coloré, vibrant et plein d'allant.

Crédit photographique : © Vincent Jacques / Angers-Nantes-Opéra

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