- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Intense émotion avec Jenůfa à Cologne

Il en est de ces soirées où, après quelques instants seulement, on sent par on ne sait quel sixième sens que l'on va vivre un moment d'intense émotion. C'est le cas avec cette nouvelle production de Jenůfa que l'Opéra de Cologne présente depuis le 28 avril.

Dès la première scène, le spectateur est entraîné dans le drame, et la fascination ne le lâche plus jusqu'à l'utopie finale, ce beau duo où Jenůfa et Laca voient devant eux un avenir plus prospère.

Mais ce bonheur, à qui le devons-nous ? Tout d'abord à et son Gürzenich-Orchester. La lecture de Stenz frôle l'idéal en trouvant le juste équilibre entre un Janáček poignant et moderne et son côté postromantique. Ainsi, à la force éruptive de certaines scènes, répondent des moments de pure beauté – comme au deuxième acte, lorsque Kostelnička part tuer l'enfant et que Jenůfa se réveille sur un air de violon d'une douceur inouïe.

Cependant, pour que cette magie opère, il faut aussi des chanteurs capables de traduire l'émotion leur parvenant de l'orchestre. Et là aussi, on est gâté à l'Opéra de Cologne. Avec Kostelnička, semble avoir trouvé le rôle de sa vie. Et pourtant, elle en dresse un portrait assez inhabituel. Sa Kostelnička est encore assez jeune. Elle est dure, certes, mais derrière cette dureté se cache non seulement son amour profond pour Jenůfa, mais surtout une grande fragilité. Ainsi, si l'arrogance de l'émission de Schaechter fait merveille dans le grand monologue du deuxième acte, elle nous touche encore plus par les lyrismes assez inattendus qu'elle déploie en d'autres endroits. A ses côtés, Orla Boylan campe une Jenůfa attachante et émouvante. Le timbre, pourtant homogène sur toute la tessiture, n'est pas d'une qualité exceptionnelle. Mais la chanteuse conquiert son public grâce à son émission facile et généreuse et un jeu impressionnant de nuances et de couleurs.

Après son impossible Don Alvaro la saison dernière, le Laca de Ray M. Wade jr. constitue une agréable surprise. Si, encore une fois, il n'a pas vraiment les moyens du rôle, l'aigu s'est considérablement libéré et il finit par nous convaincre avec son chant à la fois lumineux et nuancé. L'acteur est toujours aussi gauche, mais cette fois, cela convient parfaitement au rôle. Avec une voix plus percutante, Hans-Georg Priese est un très bon Števa, antipathique comme il faut.

Et la mise en scène ? Avec cette production signée , l'Opéra de Cologne confirme son retour à des approches plus traditionnelles, qui se mettent au service de l'œuvre au lieu de chercher la provocation gratuite. Ainsi, cette Jenůfa se déroule bien en Moravie, dans une époque à peine définie, située quelque part entre les années 1950 et nos jours. Sans sombrer dans un naturalisme folklorique, Thalbach opte pour une lecture réaliste avec quelque touche symboliste, dans les décors notamment. Le grand mérite pourtant de cette mise en scène est la direction d'acteur. C'est là que Thalbach, par ailleurs grande actrice de théâtre et de cinéma, déploie tout son talent. A aucun moment, les chanteurs ne sont livrés à eux même. Au contraire, leur jeu est habité d'un bout à l'autre, même quand il s'agit de petits rôles, voire de comparses ou de choristes.

Le public – qui, lui, sait très bien reconnaître un spectacle de qualité – a répondu présent et a salué cette représentation d'une véritable ovation. Espérons que l'Opéra de Cologne restera sur ce chemin propice – même au-delà de septembre 2008 lorsqu'un nouveau directeur devra prendre ses fonctions.

Crédit photographique : © Klaus Lefebvre

(Visited 126 times, 1 visits today)