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De Brahms à Hindemith, le consensus…

Quand le violoniste français le plus en vue du moment se déplace à Nancy, le public suit ! La salle Poirel était ainsi bien pleine pour accueillir dans le Concerto de Brahms, dédié à l'éminent violoniste Joseph Joachim, qui le créa en 1879 sous la baguette du compositeur. , soliste accompli, fut tel qu'on l'attendait : brillant, sonore et consensuel.

Dans le premier mouvement, c'est surtout son jeu d'archet qui impressionne, passant tantôt du legato à un détaché clair et souple ; l'Allegro non troppo et son mélange de thèmes et de motifs musicaux est servi au mieux par le son plein et soutenu du « Del Gesù » de , ayant autrefois appartenu au grand Isaac Stern. Dans ses dialogues avec l'orchestre comme dans ses passages soli (dont une cadence virtuose vertigineuse !), le soliste ne perd à aucun moment l'intensité et la constance de son jeu. Dans l'Adagio avec son fameux dialogue violon / hautbois, Renaud Capuçon se fait des plus romantiques, avec un legato calme et très homogène, un vibrato plus large et lyrique. Contraste cinglant avec le troisième mouvement, pris dans un tempo très rapide, où se mêlent accents festifs, traits virtuoses et rythmes hongrois, et où le violoniste peut exprimer sa maîtrise ; maîtrise technique, mais aussi des événements, car le tempo initial n'était pas loin de faire tanguer l'ensemble… Heureusement, Renaud Capuçon sait tempérer et contrôler son jeu, et conclut dans un Finale qui n'en demeure pas moins enjoué, virtuose, et plein de dynamisme. Il est accompagné par un orchestre tout en nuances et réceptif aux gestes parcimonieux mais précis du jeune chef  : soulignons la remarquable prestation de Pierre Colombain au hautbois dans l'Adagio, ainsi que le dynamisme « flexible » du tutti dans l‘Allegro Vivace. C'est donc comme acteur d'une sorte de grande fresque concertante et symphonique que s'est placé le soliste, sans démonstration excessive : consensuel, avions-nous dit. Consensuel, mais brillant !

La seconde partie du concert nous conviait à des « métamorphoses » : celles de tout d'abord, chef d'orchestre et compositeur contemporain, créées en 1990 dans une volonté de « témoignage de respect et de dépassement » des œuvres du passé. se base sur quelques mesures pour les vents de l'oratorio Les sept dernières paroles du Christ de Haydn, pour composer une œuvre originale ; dissonances, contrastes de nuances, poids des percussions et des cuivres (trois cors, trois trombones et six trompettes !), le compositeur utilise toutes les ressources du grand orchestre pour métamorphoser le classicisme, dans une atmosphère assez angoissante et oppressante. Plutôt que métamorphose du genre, devrait-on peut-être plus parler de mélanges des genres : car on peut entendre le retour de structures purement classiques au milieu des dissonances, ou des percussions tonitruantes. Une œuvre intéressante qui permet aussi d'observer la précision de la gestique de , qui a su parfaitement gérer la rythmique complexe de cette pièce.

Le véritable succès de la soirée vient cependant d'Hindemith et de ses Métamorphoses symphoniques sur des thèmes de Weber. Hommage au plus romantique des « Romantiques », cette œuvre composée en exil, entre 1940 et 1944, était au départ destinée au ballet ; il est ainsi logique que ce soit un caractère de danse qui traverse toute l'œuvre. Fausse symphonie en quatre mouvements, les Métamorphoses sont originales en ce sens qu'elles ne citent jamais… l'original ! Les thèmes de Weber sont déjà métamorphosés, et la musique d'Hindemith peut alors exprimer pleinement son génie. De la musique de scène de Turandot aux Huit pièces op. 60, Hindemith « métamorphose » en élargissant l'effectif orchestral, en variant la tonalité et l'harmonie, en rythmant les mélodies… L'œuvre qui naît est d'une indicible beauté orchestrale, somptueuse, et d'une construction claire mais dynamique : on retiendra la mélodie « chinoise » du Turandot-scherzo à la flûte solo, la douceur de l'Andantino et le brio fougeux de la Marsch militaire finale. L'œuvre est servie magistralement par un , dynamisé et électrifié par la baguette de  : de somptueuses nuances dans le premier mouvement, des rythmes précis et enjoués dans les atmosphères jazzy, des tutti parfaits… tout permet ainsi d'exprimer au mieux le déluge d'atmosphères et de sentiments se dégageant de l'œuvre d'Hindemith, le compositeur prolixe et éclectique.

On saluera l'excellente direction de Christian Arming, qui, par son engagement et sa compréhension de l'œuvre, a permis au public de « métamorphoser » sa conception du compositeur Hindemith, et d'exprimer son plaisir de l'avoir écouté. De la musique moderne, certes, mais tellement… consensuelle pour les oreilles du XXIe siècle. Moderne dans l'harmonie et les formes, sans l'être jusqu'à l'outrance, , comme Kurt Weill, fait partie de ces « vrais talents du XXe siècle », selon les propos de Wilhelm Furtwängler. Et à écouter ces merveilleuses Métamorphoses, on comprend pourquoi le chef, un jour de novembre 1934, prit publiquement la défense de ce compositeur banni par le Reich

Remercions toute l'équipe de l' pour une très belle saison 2006/2007, jalonnée de grands succès et de fantastiques découvertes, et souhaitons que la première programmation symphonique de Paolo Olmi soit tout aussi réjouissante, et pleine de belles surprises. Rendez-vous pris en septembre, salle Poirel !

Crédit photographique : Renaud Capuçon © Ana Bloom

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