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Mariss Jansons et le Concertgebouw : Quelle leçon ! Mais petite frustration

Après avoir eu la chance d'assister au formidable concert berlinois de avec l'Orchestre Philharmonique de Berlin, l'opportunité d'entendre ce chef diriger l', dont il est le titulaire depuis 2004, dans sa légendaire salle amstellodamoise, a permis de nous faire une idée plus précise sur deux des plus fameux couples orchestre-salle qui font l'admiration du monde entier. Le son obtenu au Concertgebouw est sans doute un des plus caractéristiques de la planète symphonique, très enveloppant, chaleureux, d'une facilité dynamique déconcertante. De fait, et allié à la très haute qualité des musiciens, c'est un des orchestres le plus identifiable en écoute aveugle. Comparée à la Philharmonie berlinoise, la salle hollandaise procure un son plus global et fusionnel, riche en timbres, mais peut-être moins propice aux solistes (on s'en rendra compte dans le concerto de Dutilleux) ainsi qu'à la localisation dans l'espace des groupes d'instruments (ce soir, pas moyen d'isoler les contrebasses aussi clairement qu'à Berlin).

Entièrement consacré à des œuvres du XXe siècle échelonnées entre 1919 (suite de L'Oiseau de feu) et 2000 (Moloch), faisant la part belle aux percussions : entre 6 et 7 instrumentistes étaient requis pour chaque œuvre.

Le programme du soir débutait par Moloch de , compositeur hollandais né en 1952. Si sa biographie nous dit qu'il est l'un des plus importants compositeurs de son pays, avouons que nous n'avions jusqu'alors jamais entendu une de ses œuvres. Lacune comblée avec cette courte pièce (12') pour grand orchestre, percussions, piano, célesta, 4 harpes … et «CD player». Ce dernier nous ayant un peu échappé, s'étant réfugié au fond de la salle et non sur scène, c'est avec une certaine surprise que nous avons entendu ses premières interventions, ayant un moment cru, en cette soirée orageuse, qu'une fenêtre venait de s'ouvrir laissant passer le bruit du vent et de la pluie. Circonspection manifestement partagée par une partie du public. Mais non, il s'agissait bien de sons additionnels, lancés par un opérateur aux ordres du compositeur lui-même, tous deux assis côte à côte devant une console et un lecteur numérique. Osons dire que la nécessité de ces sons enregistrés ne nous a pas sauté aux oreilles mais qu'une fois prévenu, elle n'a pas gêné non plus. Commencée d'une façon très classique (c'est à dire seulement acoustique et assez tonale), développée de façon plus illustrative qu'émouvante, avec quelques accents stravinskiens, cette œuvre a permis à l'orchestre et à son chef de montrer une grande qualité de précision, de timbre et de dynamique. Bon échauffement pour la suite.

Les Métamorphoses symphoniques sur des thèmes de Weber datent de 1943, époque où Hindemith avait trouvé refuge aux USA. C'est sans doute la plus connue de ses compositions. En quatre mouvements, telle une symphonie classique, cette pièce est en fait plus proche du concerto pour orchestre et c'est ainsi que les interprètes de ce soir l'ont fait entendre. Tour à tour, cuivres et percussions se sont brillamment illustrés, tout comme les cordes chaleureuses à souhait, mais pas assez incisives à notre goût. Belle démonstration orchestrale néanmoins.

Plus problématique sera le Concerto pour violon de Dutilleux écrit pour Isaac Stern et créé en 1985 par Lorin Maazel et notre National. Cette pièce toute de poésie, en 4 mouvements et 3 interludes, à l'orchestration riche (piano, célesta, vibraphone, cymbalum, harpes, s'ajoutant au grand orchestre habituel) a besoin d'établir une certaine intimité entre le soliste et l'auditeur pour réellement émouvoir. Pas facile certes, mais c'est justement ce «détail» qui a fait défaut ce soir, la virtuosité de n'était jamais mise en défaut, mais simplement sa capacité à conserver un lien sonore émotionnel avec l'auditeur, y compris et surtout lors des pianissimi trop distants et manquant de corps. La belle direction de Jansons et la beauté de l'orchestre n'ont pas suffi à rendre cette œuvre passionnante.

Heureusement le chef nous a donné une suite de L'Oiseau de feu de la même veine que son Petrouchka berlinois, formidable de couleur, d'intensité, de vigueur sans brutalité, au legato souverain, portée par un orchestre sans faille, capable de fortissimi sans limite et toujours musicaux. Peut être un poil moins impressionnant malgré tout que les Berlinois, dont la «présence» des violoncelles et contrebasses était plus prenante ; ça n'en restait pas moins une formidable exécution qui a constitué l'incontestable sommet de ce concert (il faut bien avouer que le chef d'œuvre de Stravinsky est en lui-même nettement au dessus du reste du programme), en même temps qu'une certaine frustration car, quand on dispose d'un tel orchestre dans une telle salle avec un tel son, on devrait jouer intégralement ce génial ballet, plutôt que de se contenter d'une bien trop courte suite. Applaudissons donc pour la qualité de ce concert qui fut surtout belle leçon de direction dans quatre œuvres différentes dont on aurait, sans remords, échangé une des trois premières pour un Oiseau intégral.

Crédit photographique : © Paul Huf

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