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Voulez ouyr les Cris de Valenciennes ?

A l'initiative de Christine et Alain Nollier, deux Valenciennois très impliqués dans la vie culturelle de leur cité, la scène nationale du Phénix, luxueuse structure profilant son architecture futuriste à deux pas du centre ville, mettait à l'honneur celui qui fut, en son temps, surnommé « le phénix des musiciens », le Valenciennois Claude Lejeune (1530-1600) : en donnant à entendre les plus belles pages de cet humaniste de la Renaissance qui, comme son prédécesseur Janequin, s'est beaucoup illustré dans le genre de la chanson polyphonique et en s'associant au Centre d'Etudes Supérieures de la Renaissance de Tours pour finaliser la publication du troisième volume de l'intégrale des œuvres du Valenciennois.

La première journée de ce week-end passionnant lui était entièrement consacrée. En fin d'après-midi, une rencontre avec le public accueillait la spécialiste française de Claude le Jeune, Isabelle His (musicologue du Centre d'Etudes Supérieures de la Renaissance de Tours et auteur d'une monographie sur le compositeur, éditée par Actes Sud ), qui donnait quelques clés d'écoute pour le concert du soir, au cours duquel l', sous la direction scrupuleuse de son fondateur , offrait à son auditoire « tout ce qui est de plus beau » dans l'art de mettre un texte en musique : chansons d'amour, toujours – galantes ou grivoises – et chansons à boire, ces compositions déploient toute l'habileté rythmique et polyphonique du musicien admirablement servi, « avec gourmandise et passion », par ces chanteurs émérites accompagnés, ce soir, par Vincent Bellocq au luth et Elisabeth Geiger à l'orgue, et dont l'investissement dans un tel répertoire est sans pareil.

Et pour perpétuer une pratique profondément enracinée dans une tradition populaire dont Janequin s'est fait le chantre virtuose avec ses célèbres Cris de Paris (faisant écho aux Cries of London d'Orlando Gibbons ou préfigurant ceux de ), le Phénix avaient passé commande à quatre compositeurs : , Bernard Carlosséma, et , pour écrire leurs « Cris de Valenciennes ». Ces quatre œuvres, de conception très divergente selon la personnalité de chacun, étaient données en création mondiale par les « Janequin » aux côtés d'autres pages plus anciennes (comme Les cris de Paris de , le baryton de l'ensemble) et parfois très cocasses, tels le savoureux Cri du cow-boy de Raymond Jouve ou l'authentique Cri du poilu de Vincent Scotto, exhumés par et déchaînant la gouaille inimitable des six compères.

Avec ses Trois chansons pour Claude Lejeune (des « envois » de Valenciennes plus que des cris !), propose une confrontation de son propre langage, qu'il inscrit cependant dans la tradition polyphonique, avec l'univers vocal du musicien valenciennois, choisissant de travailler sur les textes de trois de ses chansons : une façon de faire sonner autrement ces poèmes qui l'attachent et dont il pointe les subtilités de langage.

Le changement de ton est radical avec les pièces de et , dont le cri jaillit comme un geste de révolte, avec la violence et l'obsession qui l'accompagnent. Hommage à Ingrid Bétancourt, Le Cri op. 34 de , sur un texte de Dominique Dubreuil, amplifie jusqu'au malaise la portée de ces voix dont les mots résonnent en différentes langues, celles des tortionnaires et victimes mêlant leurs timbres multiples dans une spirale de la peur assez saisissante. Dans Cris de blogs pour cinq voix et orgue ad libitum sur un texte du compositeur d'après quelques blogs du Nord, « creuse » la résonance – signifiante et/ou sonore – de ces bribes de texte qu'il « décompose musicalement en leurs constituantes sonores » pour travailler, par le biais d'une écriture vocale très parcellaire, à une nouvelle synthèse sonore, à la limite du sens : une vision très subtile des choses, qui pâtit quelque peu des aléas d'une création.

Pour clore le concert, Bernard Carlosséma (valenciennois d'adoption puisqu'il dirige aujourd'hui le conservatoire de la ville) nous réservait « un pétillant alliage profane et sacré…revisitant le latin et le Ch'ti » avec Txilio, Les Cris de Valenciennes. Dans cette délicieuse fricassée mêlant les rumeurs de la ville et sa verve pittoresque au rituel psalmodique de la messe de l'ordinaire, Carlosséma semble brosser, en un tour de main très habile, une sorte de tableau de la Renaissance dans un hommage rendu à la Terre, à l'Homme et à la Spiritualité.

Ces riches heures de musique devraient faire très prochainement l'objet d'un enregistrement chez Harmonia Mundi.

Crédit photographique : © Emiko Hall

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