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Thaïs, le péché capital

A propos de la Manon critiquée ici même il y a peu, nous parlions de la mauvaise réputation dont souffre Massenet chez certains mélomanes.

Thaïs plus encore que Manon traîne cette image sulfureuse : livret vieillot et saint-sulpicien, musique trop mondaine ou sucrée, passages « tunnels » sans intérêt entre deux moments plus consistants, Méditation pour violon solo devenue une scie de la musique classique, voici quelques reproches que l'on entend parfois. Confessons d'emblée que malgré ces réserves, (ou en raison même de ces défauts) nous continuons d'apprécier cette musique.

, grande prêtresse de cette partition voluptueuse, vient d'offrir cette œuvre à ses fidèles de Paris, Vienne, Londres et, en dernier lieu, Barcelone. Nous avions pu entendre sa Thaïs en avril au Konzerthaus de Vienne sous la direction de Michel Plasson et avec le baryton qui partagea l'affiche du disque Decca qu'elle enregistra en son temps, Thomas Hampson. Suite à une indisposition inattendue, c'est qui a remplacé le baryton américain pour les deux représentations prévues au Liceu. Il est bien compréhensible que le français ne quitte guère des yeux la partition, d'ailleurs fort difficile en ce qui concerne le rôle d'Athanaël. C'est un peu frustrant dans le sens où sa partenaire chante le rôle par cœur, se trouve plus libre de ses mouvements et peut donc mieux habiter son personnage. Cela crée un déséquilibre aux yeux du spectateur. Mais pour l'auditeur l'inconvénient est minime. En effet le baryton français propose une lecture très convaincante de l'ermite sauvant la courtisane du péché mais sombrant à son tour dans la turpitude. La voix sonne un peu courte au début mais va en s'échauffant, et à l'exception de un ou deux aigus manquant d'ampleur, son interprétation force le respect. Certains critiques ou spectateurs de la première représentation ont été bien injustes de se plaindre alors que le baryton avait sauvé le concert. Nous avons pu assister à la seconde représentation et nul doute que avait gagné en confiance et préparation.

Côté voix d'hommes toujours, Stefano Palatchi est un Palémon sobre et juste. Si l'on n'est pas gêné par son timbre un peu nasal, le Nicias de Josep Bros n'appelle que des éloges. Voilà un chanteur qui au fil des ans a gagné en projection ; la voix emplit parfaitement le vaisseau et passe l'orchestre sans aucun problème. L'élocution est assez bonne et surtout la musicalité et le phrasé remarquables, dans la lignée d'un Alfredo Kraus.

Côté femmes, signalons une Albine légèrement essoufflée, une charmeuse un peu fâchée avec la justesse et qui gagnerait à ne pas toujours chanter forte, une Crobyle et Myrtale bien en place. La triomphatrice absolue de la soirée n'en demeure pas moins , plus diva hollywoodienne que jamais, ravissante dans deux superbes robes rouge puis crème. A son entrée une partie des spectateurs hypnotisés ont même commencé à l'applaudir alors que l'orchestre jouait. On n'aime ou on n'aime certains tics vocaux de la soprano, mais elle reste sans rivale à l'heure actuelle pour ce rôle. Crédible physiquement, engagée sur le plan du jeu, la cantatrice tient le public sous le charme d'une voix qui fait des merveilles et convient parfaitement à la sensualité de cette musique. Le chef l'accompagne avec une attention extrême, sensible au moindre rubato. Les chœurs peu intelligibles sont cependant d'un très bon niveau vocal et l'orchestre s'en tire relativement bien : Le violon solo a été très applaudi.

Accueil très chaleureux du public qui acclamera en une ovation debout la soprano tandis que quelque fanatique lancera depuis la loge d'avant-scène des fleurs ou des pétales à ses pieds! Le péché d'idolâtrie n'est pas loin…

Crédit photographique : © Decca classics

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