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Les mondes organiques du Festival Futura

Festival International d'Art Acousmatique

Interprètes à la console de projection : , , , , , Christian Zanési, Jonathan Prager, David Behar, , .

Pour la quinzième édition de c'est , son nouveau directeur, qui nous projetait, ce vendredi 17 août, au cœur du son. Une exploration nouvelle à travers une programmation de près de cinq cents œuvres acousmatiques en provenance du monde entier, données au cours de dix-huit concerts plus une Nuit blanche pendant laquelle se sont relayés à la console de spatialisation les dix « interprètes » du Festival. , c'est une manifestation annuelle qui se tient à Crest dans la Drôme depuis 14 ans, dédiée principalement à l'art acousmatique. Fondé et animé jusqu'à l'an dernier par le compositeur qui y a injecté tout son enthousiasme, ses idées et son expérience, le festival se consacre aux œuvres électroniques de concert : une œuvre acousmatique est une composition sonore travaillée en studio et livrée sur support, non sur partition. C'est donc une œuvre enregistrée, au contraire des musiques live électroniques chères à l' ou des mix de DJs. Alors pourquoi une manifestation et des concerts ? Parce que spatialisée sur les quelques 100 haut-parleurs de l'acousmonium Motus, l'œuvre en question acquiert une dimension insoupçonnable sous les doigts du régisseur-interprète, véritable révélateur et musicien, qui nous en fait apprécier les couleurs, le relief et l'envergure spatiale, en nous plongeant dans un univers sonore aux multiples dimensions, réelles et imaginaires. Avec pour invité d'honneur cette année , directeur de la programmation du GRM [Groupe de recherches musicales de l'INA à Paris] et producteur sur France-Musique et France-Vivace, le festival donnait à entendre quinze de ses œuvres, dont certaines sollicitent le support vidéo. Notons qu'à la suite de , pionnier en la matière, Zanesi est à l'origine d'une mise en perspective passionnante des mondes de l'electronica, de la house et autres sets de DJs et de l'univers plus libre de l'acousmatique [initié par et dès le début des années 50] lors des concerts qu'il programme pour Présences électroniques, le volet « électro » du festival Présences, chaque mois de février à Radio-France.

S'il nous est impossible ici d'évoquer toutes les œuvres entendues (un superbe catalogue augmenté des biographies des compositeurs les détaille comme chaque année), mentionnons la singularité de cette écoute acousmatique qui, privant l'auditeur de toute connexion avec les sources sonores de l'œuvre, nous la révèle dans sa dimension purement sonore, à travers une répartition et des couleurs choisies avec poésie et précision par l'interprète sur cet invraisemblable orchestre de haut-parleurs : une écoute « en aveugle » débarrassée de toute distraction visuelle, de tout réflexe conditionné qui nous ferait associer – et rechercher vainement l'association entre – le son et la cause qui le produit. Une invitation à plonger au plus intime de l'univers sonore, développant à notre insu une perception nouvelle du très fin, et du très infini…

Dommage qu'au service de cette écoute idéale, le public n'ait le choix qu'entre de vilaines chaises en plastique de MJC et quelques maigres tapis de sol. Difficile dans ces conditions de réellement « décoller ». En effet le manque de moyens alloués à Futura (le festival ne reçoit, quinze ans après sa fondation, qu'un maigre encouragement public), ne permet pas une équipement de la salle de concert réellement adapté à ce nouveau genre d'écoute, et ce malgré une reconnaissance internationale, l'enthousiasme du public et une qualité de programmation exceptionnelle, pour un prix d'entrée par ailleurs raisonnable.

Quoi qu'il en soit, l'expérience acoustique est toujours saisissante : elle était, cette année, centrée sur des morphologies organiques laissant percevoir des matériaux agencés comme au sein d'organismes vivants. Convaincant : le son emplit l'espace et déferle sur l'auditeur générant des images audibles qui se créent dans une dimension quasi aérienne et dont l'ouïe peut, comme l'œil le ferait pour un développement visuel, suivre les contours. Ce peut être parfois, comme le précise , l'évocation « d'un théâtre où sont convoquées des images anciennes » peuplées de voix, de rires d'enfants, ou un champ sonore plus anecdotique : celui de Saphir, Sillons Silences, par exemple, qui nous fait apprécier son halo poétique. Flâneries vagabondes, une commande de Futura à , une compositrice discrète et obstinée qui s'est faite le chantre de la nature et de tout ce qui chuchote et murmure, nous fait oublier l'espace concret de la projection pour nous transporter dans une dimension beaucoup plus vaste, où défilent sur notre écran intérieur des paysages vibrants de sensations multiples, propices au vagabondage de l'âme.

Cet art si rare et si puissant des sons projetés, semble capable de réinitialiser à l'infini ses sources, renouvelant son matériau qu'un microphone indiscret et baladeur est venu capter, et que les outils de la technologie numérique permettent, alliés parfois à une créativité époustouflante, de ciseler au gré de la fantaisie ou des obsessions de chaque compositeur. Dans L'esprit en étoile de , ce matériau se rapproche de l'univers instrumental : des sons de harpes lâchés par grappes dans une chute vertigineuse creuse un abyme sans fond peuplé d'appels tendus et d'échos fantasmagoriques dont l'impact émotionnel vrille la sensibilité. Objets sonores parfois livrés pour eux-mêmes (valeurs d'espace et de vitesse, de couleurs et de contours ou véhiculant du sens), ces « aéroformes » telles que les appelle parlent à tous nos sens. La musique concrète, car c'est de cela qu'il s'agit à l'origine, nous invite à les tenir en alerte, dans une écoute qui est tout sauf une consommation passive. Bravo !

Une raison de plus pour souhaiter que Futura se perpétue et que l'aventure sonore continue, mieux soutenue par les instances publiques. L'année prochaine, peut-être ?

Crédit photographique : © Futura 2007

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