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Mahler selon Rattle : le coffret

Alors qu'un nouvel enregistrement de la Symphonie n°9 est annoncé pour le printemps prochain avec l', EMI réédite en un coffret hyper économique (à peine le prix de 2 disques tarif plein), l'intégralité ou presque des témoignages de son chef fétiche dans l'un des Everest de la littérature symphonique (les collectionneurs constateront l'absence du premier disque mahlérien du chef : la Symphonie n°10 à la tête du Bournemouth Symphony, enregistrée en 1980).

Etalée sur près de 20 ans, cette somme comporte des hauts et des bas. Rattle avait débuté son épopée par une exceptionnelle Symphonie n°2 qui avait glané, à sa parution, à la fin des années 1980, de multiples récompenses. Cette vision, très spectaculaire et très « premier degré » a le mérite de la cohérence à défaut de creuser le texte, mais les deux solistes, les chœurs et l'orchestre sont absolument parfaits. Ensuite, Rattle s'est un peu égaré dans des chemins « Barbirolliens » se laissant aller à un Mahler nonchalant et assez appuyé dans la lignée des témoignages mahlériens (globalement surfaits) de Sir John Barbirolli. La Symphonie n°1, jouée avec Blumine, est bourrue, paysanne à souhaits, tandis que l'orchestre manque de fini et de transparence. On est ici très loin de la finesse et de la pugnacité du récent disque de David Zinman. La Symphonie n°6 souffre des mêmes défauts, avec en plus une absence d'idées directrices. La Symphonie n°7, desservie par un orchestre manquant de netteté et de couleurs est le gros point faible de cette intégrale. Rien ne décolle dans cette vision trop attachée à équilibrer les nuances au détriment du discours. On remonte d'un sérieux cran avec une belle Symphonie n°3, mais à laquelle il manque l'abandon et la grâce lumineuse d'un Bernstein (DGG) ou l'acuité d'un Boulez (DGG). La Symphonie n°4 est de la même veine avec un beau travail sur les tempi et les transitions, le dernier mouvement nous permet d'entendre la belle voix d'Amanda Roocroft. Nous avions déjà évoqué le cas de la Symphonie n°9 lors d'une récente chronique d'un concert du festival de Lucerne. Une ré-audition confirme les atouts des mouvements médians, beaucoup plus brassés et animés que dans la nouvelle optique du chef. Les mouvements rapides pêchent par un manque de détermination, c'est dommage car on tenait alors une des plus grandes visions de la pièce.

Au rang des incontestables réussites, il faut compter avec une Symphonie n°5, burinée mais formidablement construite. Qui plus est, on échange le valeureux Orchestre de Birmingham contre la Philharmonie de Berlin et cela s'entend ! Au même niveau, on peut placer le second enregistrement de la Symphonie n°10 qui, dans l'absolu, s'impose comme la référence avec la première version du même chef. La qualité de l'orchestre et la vision décantée de Rattle font merveille. Mais le sommet de cette intégrale réside dans une magistrale Symphonie n°8 où l'élan et le questionnement du texte vont de pair avec une distribution de premier plan alors que l'artiste fait jaillir mille détails solaires de l'orchestration. C'est, avec Bernstein (DGG) et Solti (Decca), le sommet de la discographie.

En complément, on retrouve avec intérêt une belle version du Klagende Lied, mais inférieure à celle de Tilson-Thomas (Avie), des extraits du Knaben Wunderhorn bien chantés par et un Lied von der Erde plus que moyennement chanté et qui manque amèrement de spiritualité.

Cette intégrale nous permet de suivre l'évolution du chef vers un style mahlérien propre et particulièrement convaincant que l'on pourrait qualifier de Mahler « lumineux » faisant scintiller les détails de l'orchestre, cherchant à travailler les textures et exacerbant les dynamiques et contrastes. Gageons que la plupart de ces enregistrements, réalisés alors que le musicien était encore jeune, sont des brouillons d'une seconde intégrale en devenir. Sans véritable catastrophe, ce travail pourra ravir les mélomanes en quête d'une première intégrale à petit prix car ce box est autrement plus convaincant que le coffret Inbal (Brilliant) ; pourtant, dans ce créneau de prix, on pourra tout de même préférer Bertini (EMI) mais dont la disponibilité est aléatoire.

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