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A fleur de peau

Un concert à fleur de peau qui rend difficile, devant tant de talent, de transcrire par des mots ce que la musique a si bien exprimé. et les interprètes du Poème Harmonique sont des artistes sensibles qui savent nous faire vibrer et nous faire percevoir le fil qui nous unit à cette poésie musicale si profondément humaine que le temps ne peut avoir d'emprise sur elle. Quel bonheur que ce nouveau programme Triste España sin Ventura !

Musiques polyphoniques para-liturgiques et profanes de l'Espagne de la fin de l'âge d'or, elles sont les fruits d'un pays carrefour des mondes, où les rencontres des cultures permettaient des contrastes saisissants d'une folle liberté baroque. Les Canarios, les Jácaras résonnaient dans les rues et à la Cour, chantant l'amour, qu'il soit divin ou profane avec une sensualité aux éclats foudroyants.

Ce n'est pas dans la très belle Cathédrale Saint-Maclou de Pontoise que nous étions en ce début de soirée du 30 septembre, mais transportés dans ces jardins ibériques où les violes nous ont fait ressentir la chaleur brûlante du soleil, et la harpe de Nanja Breedijk, le son de l'eau clair jaillissant des fontaines. Kaori Uemura nous a permis de découvrir la palette mouvante, changeante, souple du dessus de viole. Les quatre voix masculines nous ont fait percevoir, tour à tour ou ensemble réunies, les joies et les douleurs humaines. Citons, Serge Goubioud jouant des mots de la langue populaire espagnole et de situations drolatiques ou tragi-comiques, ou l'alto Bruno Le Levreur adressant une supplique qui transcende la lumière lunaire dans une prière à la Vierge aux couleurs brûlantes de la passion, Ay luna que reluces. Nous avons pu entendre, voir, participer à cette merveilleuse complicité entre et ses musiciens, aux regards et sourires échangés avec Joël Grare, aux percussions, ou avec les joueuses de viole ; complicité qui fait de nous des acteurs à part entière de ces scènes de rue, rend nôtre le chagrin du deuil du Prince Juan d'Aragon, ou nous conduit à l'extase par la beauté du chant et de la musique, purs moments de délices. Entendre les premières notes, les premiers mots de Triste España chanté par , nous abandonne dès les premiers instants à la beauté de ces œuvres.

Pour terminer la soirée, après des applaudissements nourris : trois bis empruntés à des programmes précédents du Poème Harmonique aux tonalités hispanisantes provenant de la Cour de France, comme « Nos esprits libres & contents », nous conduisant ainsi des deux côtés des Pyrénées sur les pas d'Anne d'Autriche et plus encore de tous ses musiciens voyageant de cours royales en villages, permettant à la musique de cette époque de s'enrichir de toutes ses rencontres humaines.

On ne peut que remercier le Festival de musique baroque de Pontoise d'avoir rendu possible la réalisation de ce programme. est un poète, un troubadour qui, pour notre plus grand plaisir, sait s'entourer d'artistes de grands talents (et nous ne les avons pas tous cités ; qu'ils nous le pardonnent) et nous faire découvrir un baroque rare et précieux. Musique des rues et de la Cour, profane et sacrée, toute la poésie du XVIe siècle, tout le goût du sublime et de la parodie du XVIIe siècle nous ont été offerts en cette belle soirée d'automne.

France Musique a enregistré ce concert qui sera rediffusé le 18 octobre à 16 heures.

Crédit photographique : © Robin Davies

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