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Il Sant’Alessio au TCE, un instant d’éternité

La mort comme un murmure, comme un soupir « O Morte soave ». Paris frisonne cet hiver des promesses de la magie baroque.

En cette soirée, le Théâtre des Champs-Elysées n'était pas loin de nous ramener à la félicité de cette voie céleste. La salle s'obscurcie, le rideau ne s'est pas encore levé et alors que l'orchestre entame la première des sinfonie orchestrales un rayon de lune vient illuminer le théorbe. Illusion d'optique ! Mais tout spectacle baroque ne possède-t-il ces moments d'étrangeté.

Sant'Alessio a quitté sa famille au soir de son mariage, abandonnant les richesses matérielles et sensuelles, pour vivre anonymement dans le dénuement le plus absolu, sous l'escalier de sa propre maison. Durant les deux premiers actes, nous voyons ses parents et sa femme pleurer son absence tandis qu'il est en proie aux doutes. Il meurt à la fin du second acte, le troisième acte déployant le chagrin puis la révélation d'un bonheur au-delà de l'incommensurable, de l'extase céleste.

et nous offre ici un spectacle superbe, un opéra du « premier baroque » où ce retour aux sources de la mise en scène nous permet de percevoir un monde où tout était signifiant, ou tout était splendeur, où la quête du beau avait pour vocation non seulement d'émerveiller et d'amuser mais aussi dans la Rome de la Contre-Réforme (Landi, citoyen romain composa cet opéra à l'occasion de la visite du roi de Pologne dans la Cité Eternelle) de convertir en séduisant les âmes égarées. Cet opéra-oratorio atteint les cœurs en fusionnant tous les arts afin de parvenir à son objectif. Le livret du Cardinal Rospigliosi, nous montre la lutte que tout être humain doit mener pour parvenir à la grâce. Thème que l'on retrouve dans d'autres livrets de ce dernier (comme La Vita Humana) où dans ces commandes de mécène éclairé.

L'histoire entremêle aussi bien le tragique que le comique. On y trouve des scènes de Commedia dell'arte avec les personnages de Curtio et de Martio ( et José Lemos, dont la souplesse physique n'a d'égale que ce piquant de la parole et dont les voix savent jouer de cette verve populaire du théâtre des rues) qui font entrer dans l'histoire la joie et l'absurdité de certaines scènes.

La fantasmagorie de la danse des démons, à la chorégraphie féline à l'acte I ou l'apparition des anges à la fin de l'acte II sont magnifiés par la mise en scène qui sait utilisée les décors, la lumière, le feu, les paillettes, mais aussi la gestuelle baroque aux courbes envoûtantes, comme autant de reflets des âmes des personnages. Dans ce « grand sermon animé » nous sommes au cœur d'une enluminure ou d'un tableau du Caravage ou d'un de La Tour. Une irréalité proche du songe.

Des sinfonie orchestrales, qui figurent parmi les tous premiers exemples d'ouverture d'opéra, émanent une beauté suave, une luminosité intérieure qui nous permet d'entrer dans l'histoire. et on fait le choix d'une distribution exclusivement masculine, y compris pour les rôles des femmes comme l'exigeait Landi et les canons de l'époque et où les femmes étaient interdites de scène. Et ce choix s'avère convaincant. Chaque interprète est à sa place (qu'ils nous pardonnent de ne pas tous les citer). Jouant sur la sensualité androgyne ambiguë de la distribution le charme opère. Philippe Jarrousky dans le rôle titre sait nous rendre attachant ce « monstre d'égoïsme » qu'est au fond Saint Alexis et son interprétation de « O Morte soave » est bouleversante, mais malheureusement massacrée par les toux intempestives qui ont régulièrement et bruyamment gênées le temps de la représentation. est un superbe démon, à la belle voix de basse et à la forte présence scénique. Max Emanuel Cencic une douloureuse, implorante et bouleversante épouse et dans les rôles de Rome et de la Religion sait nous atteindre au plus profond de nous même. Il Sant'Alessio est un spectacle magnifique. La musique, la mise en scène, la chorégraphie et les interprètes sont un enchantement dont le public a su certainement apprécier toutes les beautés.

Crédit photographique : (Sant'Alessio) et la Maîtrise de Caen © Alvaro Yañez

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