- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Rossini haut en couleurs avec l’Italienne à Lille

Une nouvelle production de l'Italienne à Alger ouvre enfin la saison lyrique de l'Opéra de Lille.

La mise en scène de revêt les attributs du rêve, une histoire dont le goût et la fantaisie semblent loin des préoccupations contemporaines. Le décor, dénudé, est pavé de coussins, valises et ponctué d'innombrables portes qui symbolisent l'inconscient. Celui d'un bourgeois ennuyé, lassé d'une femme aimante, qui rêve d'autocratie masculine et se métamorphose en Mustafa, Bey d'Alger, heureux propriétaire d'un harem. Inlassablement, il fantasme sur un idéal de femme fatale, incarnation de cette icône d'Anita Ekberg qui trône dans sa demeure.

La mise en scène décrypte parfois avec intelligence un souterrain désir et s'amuse d'un éros exacerbé – Mustafà ne recherche pas l'âme sœur. Mais, le plus souvent, elle opacifie ce que la musique est si prompte à révéler. Les intrigues rossiniennes sont suffisamment complexes pour ne pas en rajouter. Pourquoi Taddeo, compagnon de voyage d'Isabella, promu « Kaïmakan » par Mustafa serait-il accroché puis suspendu à un abat- jour, qui, d'objet décoratif dans le premier acte, devient tiare? Et quel sens donner à l'incongrue débauche de matériau face au décor austère, pour le rituel du Pappataci où le chœur d'hommes arbore la même robe rouge-sang qu'Isabella? Pourquoi, surtout, le sens de tout ceci ne nous est-il pas limpide? Mettons cela sur le compte du rêve…

Portée par une distribution internationale très convaincante, cette production a révélé quelques interprètes d'exception, aussi bons chanteurs que comédiens. Et l'authenticité de chaque acteur a contribué à cette parfaite alliance de farce, de pudeur, de roublardise et de candeur qui caractérise l'univers de Rossini. Si tous les solistes sont irréprochables, ou presque, sont à retenir l'excellent qui campe avec désinvolture cette caricature du désir charnel que devient ici Mustafà. La vitalité époustouflante de son jeu scénique n'ôte rien à sa maîtrise vocale et expressive. Puis, la mezzo-soprano qui, de son timbre rond et cuivré, étoffe une Isabella au charme félin. Elle s'accommode sans effort de la tessiture grave de la partition et excelle de précision dans Oh! Che muso, che figura!… Enfin, l'étonnant manie avec agilité la profondeur du sentiment et le sens du burlesque. Sa voix superbement placée et la justesse de son jeu confirment un parfait rossinien et un talent à suivre. A l'opposé, le ténor , bien que doté d'un timbre parfait pour ce répertoire, a manifesté de sérieuses inégalités sur le plan technique, autant dans les vocalises que dans l'aigu.

L'accompagnement aura, quant à lui, rempli son rôle avec engagement. Il se sera octroyé quelques apogées telle qu'à la fin du premier acte, « Pria di dividerci da voi, Signore… », malgré un orchestre parfois traînant, parfois trop fort, ou un chœur un peu bourru et manquant de rythmique.

Il en résulte en réel plaisir que l'on espère voir se prolonger tout au long de la saison.

Crédit photographique : (Isabella), (Mustafà), (Lindoro) & (Taddeo) © Frédéric Iovino

(Visited 131 times, 1 visits today)