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Des Canyons aux Etoiles de Messiaen, le vertige des sommets

Des canyons aux étoiles est la partition orchestrale la plus vaste et monumentale d' par son programme et par sa durée supérieure à l'heure et demie. Cette musique minérale, suggestive et granitique s'impose comme l'un des sommets de l'œuvre du compositeur français.

1. Présentation de l'œuvre.

Commandée pour les célébrations du bicentenaire des Etats-Unis (1776), la pièce, composée entre 1971 et 1974, est créée à New York en 1974. Pour s'imprégner du climat américain, Messiaen visite le site de Bruce Canyon dans l'Utah d'où ce titre. Cette œuvre présente, comme toujours, chez Messiaen, une référence religieuse, ainsi l'âme doit s'élever des canyons aux étoiles, et même plus haut par une glorification de Dieu dans toutes ses créations terrestres et spirituelles. Mais au-delà ces allusions, Des canyons aux étoiles se veut aussi une œuvre « géologique, astronomique » et une « partition couleur » qui reprend toutes les teintes de l'arc-en-ciel et des roches des Grands canyons. La partition utilise des chants d'oiseaux, particulièrement ceux de l'Utah et des îles Hawaï.

La partition se décompose en douze pièces groupées en trois parties. La première partie s'ouvre par Le désert, pièce brève d'introduction, elle est marquée par une ouverture et une conclusion confiée au cor ; la partie centrale présente plusieurs chants d'oiseaux dont celui du sirli du désert. La section suivante se nomme Les orioles, du nom des loriots de l'ouest américain. Les volatiles sont rendus par de magnifiques effets de timbres et d'harmonie. « Ce qui est écrit sur les étoiles » est de forme cyclique avec un passage virtuose fondé sur des chants des oiseaux japonais et américains. Une partie de piano seul, très développée et suggestive, est au cœur du Cossyphe d'Heuglin du nom d'un oiseau d'Afrique du sud. Cedar Breaks et le Don de Crainte est l'alliance d'un hommage au Cedar Breaks, l'un des sites les plus impressionnants de l'Utah et du « Don de Crainte », l'un des sept dons de l'esprit. L'orchestre utilisé dans son entier, avec même une machine à vent, est ici d'un grand raffinement.

La seconde partie s'ouvre par L'appel interstellaire confié au cor solo qui doit ici dépasser les limites de virtuosité. Partition redoutable, souvent imposée lors des concours de recrutement des orchestres, L'appel interstellaire reste confiné, sur décision du compositeur, aux exécutions intégrales des Canyons, en dépit du souhait de nombreux cornistes d'étoffer leur répertoire de concert soliste. Bryce Canyon et les rochers rouges orange, d'une durée d'un quart d'heure est la plus longue section de la pièce. L'orchestration qui fait la part belle aux vents et aux cuivres, tend à rendre toutes les facettes de ce paysage merveilleux.

La troisième partie est introduite par Les ressuscités et le chant de l'étoile Aldébaran est un mouvement lent aux teintes translucides qui cite le chant de quatre oiseaux. Le moqueur polyglotte est un oiseau américain au chant particulièrement véloce, bien rendu ici par la partie de piano. Un ton lumineux et ensoleillé caractérise la grive des bois s'ouvre sur Omao, Leiothrix, Elepaio, Sham, quatre oiseaux de tous les continents. Dans ces deux parties, les cuivres, et surtout les cors, sont particulièrement sollicités. La partition se clôt par Zion Park et la Cité céleste où ce site géographique est comparé à la Jérusalem céleste. Des chorals de cuivres, des chants d'oiseaux et un carillon ouvrent ainsi la partition sur le paradis.

Ce grand succès valut au compositeur un hommage inédit : une montagne de l'Utah est baptisée, en 1977, Mont Messiaen.

2. La discographie

Quatre versions, toutes de haut niveau, composent la discographie de l'œuvre. Dans les années 1970, le regretté Marius Constant dirige le premier enregistrement de la pièce (Erato) à la tête de l'ensemble Ars Nova avec Yvonne Loriod au piano et Georges Barboteu, le plus grand des cornistes français de la période 1950-1980, en solo dans L'appel interstellaire. Assez lente, cette interprétation témoigne de l'enthousiasme des pionniers à une époque où l'exécution de la musique contemporaine en France amorçait une professionnalisation avec la création de l'Ensemble Intercontemporain sous la houlette de Pierre Boulez. En effet, on relève quelques scories dans l'exécution instrumentale ; cependant par la conviction de la direction de Constant, cette version s'imposera toujours comme une pièce angulaire de la discographie. Dans les années 1980, le jeune frappait un grand coup avec une interprétation solaire et techniquement implacable de la partition à la tête du London Sinfonietta (Sony). La partie de piano est tenue par Paul Crossley dont on ne dira jamais assez qu'il est un très grand pianiste. Primée à de nombreuses reprises à sa sortie, cette version est un premier choix évident. Grand spécialiste de la musique contemporaine Reinbert de Leeuw grava en 1992 un disque pour la firme Montaigne. Le chef hollandais officie à la tête de ses forces de l'Asko Ensemble, du Schœnberg ensemble et du groupe de percussion de la Haye alors que Marja Bon est au piano. Rigueur et probité sont les maîtres mots de cette interprétation virtuose et inspirée. Dans le cadre de sa quasi-intégrale symphonique de l'œuvre de Messiaen (DGG), Myung Whun Chung, enregistra avec son Orchestre Philharmonique de Radio-France, la plus récente version discographique. Ce double album vaut essentiellement pour Roger Muraro qui officie, avec un brio époustouflant, au piano solo ; en effet on retrouve, comme souvent, une certaine indécision dans la battue un peu trop automatique du chef coréen.

Les versions encore disponibles chez les disquaires sont celles de Constant chez Apex, De Leew chez Montaigne et Chung chez DGG. Cependant, on trouve aisément sur les plates-formes de téléchargement, et à très bas prix, la version Salonen.

Crédit photographique: Bryce Canyon © DR

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