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Aleph fait son festival au théâtre Dunois

En résidence au Théâtre Dunois qui l'accueille depuis quinze ans, l' – crée en 1983 et comptant aujourd'hui sept interprètes solistes, tous acteurs de la création musicale – donnait le week end dernier, trois concerts avec la collaboration de l'Ensemble Slowind venu de Slovénie, du collectif italien Divertimento Ensemble et des huit violoncelles de l'Ensemble français Nomos crée par l'un des membres fondateurs d'Aleph, Christophe Roy et dirigé par Michel Potzmanter.

C'est un concert fleuve comme aiment en concevoir ses responsables que nous proposait l' ce dimanche 10 Février ; au risque d'éprouver l'écoute de son auditoire, ces trois heures de musique ne firent que confirmer l'engagement des interprètes face à des œuvres exigeantes comme celle de , un très jeune compositeur strasbourgeois de 26 ans qui dans Aus s'aventure dans l'univers spectral et microtonal pour traiter de manière virtuose une matière sonore en constante métamorphose. Inséré entre deux courtes pièces vocales de , Petit Bobok pour violon et violoncelle de – dont la veine programmatique prend sa source dans la nouvelle de Dostoïevsky « Bobok » – instaure un face à face entre les deux protagonistes dont on retiendra tout particulièrement le duel sans concession des premières pages conduisant le propos labile des deux instrumentistes au silence le plus frustrant. Après la pièce d'Annette Schlünz, Moccoli, alliant de manière sensible les vers de Gœthe chantés par Monica Jordan aux couleurs de la clarinette et du violoncelle, Noëmi Schindler donnait tout son lustre violonistique à Passages, une œuvre de concours écrite par avant que , épaulé par Christophe Roy, ne nous dévoile, en trois tours de mains ludiques et didactiques, la fantasmagorie sonore de son alto à travers sa propre composition Viola spaces.

Mais l'œuvre attendue ce soir, parce qu'il s'agissait d'une création et d'un premier « coup de maître » du compositeur dans l'univers vocal, fut la fable musicale de , Charlie pour une voix et cinq instruments d'après Matin Brun de Franck Pavloff ; composée pour l' qui avait mis à l'œuvre ses forces vives – il faut à la fois rire, jouer et chanter dans Charlie ! – la fable raconte, avec ce mélange d'humour et de terreur qu'autorise le propos distancié, « la montée d'un régime totalitaire et la réaction – ou plus exactement l'absence de réaction – des protagonistes (ni des héros, ni des salauds) à savoir Charlie et son copain ». C'est une thématique chère à qui l'amène à publier chez Van de Velde en 2006 un ouvrage, littéraire celui-là, « De Weimar à Térézine », traitant de « l'épuration musicale » de 1933 à 1945.

Aussi concise qu'efficace, la nouvelle de Pavloff où il est aussi question d'épuration, féline, canine …. décrétée par l'» Etat brun » – le brun est la couleur conforme qui proscrit toutes les autres – s'impose alors comme le livret idéal dévoilant dès la première lecture sa vocation musicale comme en témoigne le compositeur.

C'est cet impact direct, presque charnel entre le propos et sa traduction sonore –les mots sont scandés, chantés, « traités » par le « chœur » des musiciens – qui capte l'écoute durant les trente minutes d'un temps fermement articulé (on pense à Wozzeck). Les interventions de la chanteuse – saluons la prestation de Monica Jordan dont la voix se déploie entre lyrisme et gouaille populaire – au même titre que celles de ses partenaires instrumentistes dramatiquement impliqués s'inscrivent au sein de courtes séquences habilement reliées – la chanson de cabaret est délicieuse – où s'insèrent très naturellement les mots du texte à dire ou à chanter. Si le langage musical, volontairement éclectique, mêle, au travers de citations et collages (Kurt Weil, bien sûr, mais aussi Chopin et Jacques Dutronc), références tonales et libre atonalité, modalité et dodécaphonisme, c'est davantage le timbre – le choix des petites boîtes et casseroles percutées en témoigne – qui crée ici la véritable dramaturgie musicale, recherchant un « grain sonore » pour chaque situation.

Pas de mise en scène dans Charlie mais un courant qui passe sur le plateau, un texte qui s'inscrit dans un espace de résonance, une musique qui l'enchante…quelque chose d'une féerie au sens où la décrit Jean Genêt, féerie tragique pour Charlie, terrifiante autant que merveilleuse.

small>Crédit photographique : © Bruno Giner

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