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Sonate pour violoncelle « enrhumé »…

A première vue, rien de surprenant en regardant le contenu de ce nouveau disque du label Fuga Libera : Sonate pour Arpeggione et Quintette en ut de , deux œuvres parmi les plus populaires du compositeur, gâtées par une discographie déjà abondante. Mais tellement habitués que nous sommes à entendre la Sonate jouée par un violon, un violoncelle ou un alto, qu'il nous arrive d'oublier l'intention première et unique de Schubert, qui était pour ce curieux arpeggione, un instrument à mi-chemin entre la guitare et le violoncelle qui eut une durée de vie aussi brève que celle de Schubert lui-même, inventé au début du XVIIIe siècle par le luthier Johann Georg Staufer.

Voici cependant qu'il renait de ses cendres, grâce à l'enthousiasme du violoncelliste Nicolas Deletaille qui s'est fait construire en 2001 un authentique arpeggione par le luthier Benjamin Labrique. En compagnie de au pianoforte, Nicolas Deletaille joue donc la sonate de Schubert à la « guitare d'amour » comme on la surnommait alors, redonnant à l'œuvre toute son authenticité. Il n'est certes pas le premier à redonner vie à l'arpeggione (il existe au moins 3 autres enregistrements de cette sonate de Schubert), mais sa très belle interprétation et sa grande maitrise technique de l'instrument font de cet enregistrement une originalité à découvrir. Pas sûr qu'il incite d'autres instrumentistes à tenter la même expérience cependant, tant la sonorité de l'arpeggione fait penser à un violoncelle pour ainsi dire « enrhumé », décoloré, son manque d'éclat et de puissance rappelant davantage la viole ; on comprend aisément pourquoi le siècle du romantisme en a fait du feu de bois !

Avec le Quintette en ut pour deux violoncelles, on change totalement d'univers. Nicolas Deletaille retrouve son violoncelle pour proposer avec le Quatuor Rosamunde une interprétation remarquable du chef-d'œuvre des chefs-d'œuvre de Schubert. Le long et sinueux premier mouvement est abordé avec profondeur et largesse, laissant cours à des sonorités mordantes, parfois violentes, et on se délecte des magnifiques contrechants particulièrement bien mis en lumière, trop souvent étouffées dans d'autres interprétations. Avec sa polyphonie organique et atemporelle, l'adagio fait penser à la cadence paisible d'un navire qui s'enfonce dans l'océan de la nuit, bercé par la mélopée incessante du premier violon. On a vu ailleurs plus terrifiante la tempête qui s'ensuit, mais l'accalmie préoccupante vers laquelle elle nous mène engendre un climat de sensations extraordinaires. Âpre, rugueux, le scherzo n'a jamais semblé aussi dense et touffu, auquel il manque sans doute un brin de dynamisme de la part des musiciens qui optent pour une vision plutôt vigoureuse. Le rythme entrainant de la valse finale ne leur fait en revanche pas défaut, et on aurait tort de s'arrêter sur le caractère simplement populaire et dansant de cette dernière page, tant elle recèle de trésors enfouis, ici admirablement bien révélés.

Voilà au final un très bon disque recommandable aussi bien pour l'originalité que représente l'arpeggione que pour la très grande qualité de l'interprétation du Quintette par Nicolas Deletaille et Quatuor Rosamunde.

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