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La Sonnambula, Bartoli Circus

Pour l'actuelle saison 2007-2008, se consacre entièrement à un hommage à la cantatrice Maria-Felicità Garcia, plus connue sous son surnom de La Malibran.

Figure légendaire du chant de la première moitié du XIXe siècle, interprète encensée par ses contemporains (notamment Liszt et Chopin) de Rossini et Bellini, elle disparait en pleine gloire, à seulement 28 ans, des suites d'une chute de cheval alors qu'elle était enceinte.

La célèbre mezzo-soprano romaine voue, de longue date, une profonde admiration à son illustre aînée, dont elle collectionne les objets personnels ; une exposition itinérante de cette collection a d'ailleurs accompagné la tournée. Et pour ce qu'on en sait par les témoignages de l'époque, il est probable que possède plusieurs points communs avec la Malibran : une forte personnalité, une tessiture fondamentalement de mezzo mais dont l'ambitus très large lui permet d'aborder des rôles de soprano, une vocalisation véloce et spectaculaire.

Inauguré en septembre 2007 par la publication du disque Maria chez Decca, cet hommage s'est poursuivi par une tournée de récitals à travers toute l'Europe avec, en point d'orgue, un véritable marathon de trois concerts dans la même journée Salle Pleyel, le 24 mars 2008, jour précis du bicentenaire de la naissance à Paris de la Malibran. A cette occasion, a repris un des rôles qui ont fait sa propre gloire, comme auparavant celle de Malibran : Angelina de la Cenerentola de Rossini. Pour deux concerts au Festspielhaus de Baden-Baden, la Bartoli se montre plus aventureuse puisqu'elle aborde en intégrale Amina dans la Sonnambula de Bellini, avant de s'attaquer en mai prochain à Zurich à Clari de Halévy, deux autres rôles où a brillé Maria Malibran.

Dans une somptueuse robe blanche, scintillante et pigeonnante, Cecilia Bartoli est d'évidence la star de ce concert ; une grande partie du public, conquis d'avance, n'est venu visiblement que pour elle et sur son seul nom. En grande forme vocale, elle fait montre de toutes ses qualités bien connues : un timbre charnu, enrichi d'un discret vibratello, des graves sonores et d'une grande autorité, un souffle quasiment inextinguible qui lui permet un legato somptueux dans les cantilènes et, bien sûr, des colorature exubérantes et très rapides. De ses (menus) défauts aussi : la voix est petite, de puissance modeste, et peine parfois à se faire entendre dans les tutti et son tempérament volcanique la pousse parfois à une surinterprétation qui confine à l'histrionisme vocal et dramatique. Son interprétation du rôle d'Amina culmine dans la scène finale, qui fait crouler la salle. Le récitatif initial est rêvé, d'un timbre un peu blanc et comme absent, dans un ailleurs qui convient parfaitement à une jeune fille encore en état de somnambulisme à ce moment. La sublime cantilène « Ah ! non credea mirarti », prise dans un tempo très lent, est murmurée de bout en bout et gorgée d'émotion par la variété des colorations. Enfin, la cabalette « Ah ! non giunge » radieuse, chantée avec un sourire dans la voix, aux vocalises confondantes de précision et d'imagination, parachève l'œuvre. Des vocalises qui délaissent le suraigu pour explorer le registre grave et nous changent avec bonheur des rossignols un peu mécaniques qui s'étaient approprié le rôle avant la révolution callassienne.

Pour autant, sur le reste de la soirée, a-t-on entendu vraiment la Sonnambula de Bellini ? Qu'il nous soit permis d'en douter. L'ouvrage est comme une porcelaine délicate et fragile ; toute outrance à caractère trop démonstratif le dénature irrémédiablement et ne fait que révéler ses faiblesses. La poésie, le caractère lunaire de la partition sont restés absents. Trop de dramatisation et d'accentuation des contrastes rythmiques ou dynamiques sont venus tuer la simplicité bucolique qui fait tout le charme de l'œuvre. La fameuse « mélodie infinie » de Bellini, tant louée par Chopin entre autres, s'est vue fréquemment rompue par ces excès interprétatifs ou d'inutiles mélismes. En bref, il nous paraît que le tempérament artistique bouillonnant de Cecilia Bartoli s'accorde mal à la musique de Bellini, à celle-là en tous cas.

Il n'est pas sûr non plus que le choix de à la tête du ait été des plus adéquats. D'abord, le choix d'un orchestre avec instruments conformes à l'époque de la création (cors naturels et flûtes à bec notamment) nous a valu quelques plantages dans les vents et les bois, sans apporter de plus-value majeure, en termes de timbres, dans une œuvre dont la richesse de l'orchestration n'est pas la qualité la plus évidente. Et ici encore, la direction appuyée de , très dynamique, très contrastée, ralentie jusqu'à la déstructuration de la ligne ou, au contraire, aux tempi soudainement débridés, parfois tonitruante, parfois allégée, ce style qui a fait son succès dans la musique baroque ou de Mozart, brutalisent souvent la délicate musique de Bellini. Pour deux finals parfaitement enlevés, que de moments inutilement maniérés ou exagérément pompiers…

Le style châtié et l'adéquation stylistique, c'est en Comte Rodolfo de luxe qui en donne la leçon. Tout y est, superlativement ! La voix, magnifique de timbre et de souffle, le legato parfait, l'homogénéité, les graves sonores et la vaillance des aigus, la prestance, la justesse de l'interprétation. Le ténor , pas franchement convaincant au disque où il ne donnait que quelques répliques à Cecilia Bartoli, réussit plutôt mieux l'intégrale scénique. Le timbre est ensoleillé, la voix plutôt petite, la prononciation parfaite – quoique d'origine canarienne, on le comprend bien mieux que l'italienne Bartoli ! –, la technique solide, lui autorisant de jolis aigus en voix mixte et de parfaites missa di voce, l'interprétation peu engagée et un tantinet scolaire. Dommage que dans sa cavatine « Ah ! perché non possio odiarti » il se croie obligé de nous gratifier d'aigus de stentor à pleine voix de poitrine ; puisque cette représentation se targuait d'authenticité historique, il est fort douteux que le créateur du rôle Rubini se soit laissé aller à de telles outrances. Complètent la distribution, la Lisa probe de , la belle autorité et présence de en Teresa et l'impeccable prestation du , presque trop riche pour l'occasion.

Pour finir, quelques mots sur l'étonnant Palais des Festivals de Baden-Baden, que nous visitions à cette occasion pour la toute première fois et qui fait penser au Grosses Festspielhaus de Salzbourg. Conçu par l'architecte viennois Wilhelm Holzbauer, inauguré le 18 avril 1998, il juxtapose l'ancienne gare du XIXe siècle, qui sert de hall d'accueil, à une salle moderne à l'esthétique contestable mais à l'acoustique parfaitement réussie. Très large, sa capacité de 2500 places en fait la seconde d'Europe, juste derrière l'Opéra-Bastille. Avec un fonctionnement uniquement sur des fonds privés, la programmation s'articule en quatre festivals annuels (Pentecôte, été, automne, hiver) et propose des opéras en version scénique, des concerts symphoniques, des récitals instrumentaux, des spectacles de danse ou de variété, avec une pléiade de stars du monde musical. Prochain rendez-vous : Fidelio de Beethoven, dirigé par Claudio Abbado. Nous espérons pouvoir vous en rendre compte.

Crédit photographique © DR

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