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La Clemenza di Tito à Turin, Graham Vick se trompe d’Empereur

En transposant La Clemenza di Tito en plein régime fasciste italien, se trompe d'Empereur.

Le Titus de Métastase est un monarque bon, vénéré, aimé et clément. Sous le règne de Mussolini, les dirigeants italiens étaient loin d'avoir les qualités humaines qui font le personnage de l'opéra de Mozart. Ainsi les scènes de violences, de matraquages, d'humiliation que le metteur en scène nous sert tout au long du spectacle sous l'œil indifférent de Titus sont en total désaccord avec l'intrigue. Certes, le drame, la vengeance, la trahison rôdent autour de Titus. L'ambitieuse Vitellia, blessée par le choix de Titus de prendre pour épouse la jeune Servilia, joue de l'amour que lui porte Sextus, pour le pousser à assassiner Titus, son meilleur ami. La justice le condamnera à mort. Devant la probité de Sextus se refusant à dénoncer la femme qu'il aime comme étant l'instigatrice du complot, et parce que Vitellia, prise de remords, soudain avoue sa faute, Titus use de son autorité impériale pour exercer sa clémence et pardonner à tous. La cohérence du livret et le caractère bien dessiné des protagonistes n'obligeaient en rien le metteur en scène anglais d'imaginer une telle aventure à une autre époque que celle où régnait Titus quand bien même les costumes respectent l'image des «chemises noires» de triste souvenir, et le décor Art-Déco d'une grande pièce circulaire au parois couvertes de marqueteries d'art montrant les attributs de la Rome Impériale. Un univers décalé aggravé par une partie du plateau vocal clairement en contre-emploi.

A commencer par le rôle-titre (Giuseppe Filianotti). Avec une agilité vocale insuffisante, il ne peut aborder sans détonner les quelques vocalises qui parsèment son rôle. Son chant manquant de sensiblement de souplesse, les récitatifs sont envoyés dans un style heurté, proche de l'opéra vériste. Devant ses difficultés vocales, les interventions du ténor perdent peu à peu de l'intérêt et l'attention du spectateur se focalise bientôt sur son jeu théâtral. Si Giuseppe Filianotti occupe la scène avec discrétion et à-propos, la scène finale le voit juché sur deux chaises dans des attitudes rappelant Charlie Chaplin jouant avec une mappemonde dans le film Le Dictateur ! Un deuxième degré (incongru) qui n'a certainement pas dû échapper au metteur en scène, mais dont le ridicule semble ne pas effleurer le ténor calabrais.

Dans le rôle de Vitellia, la soprano souffre des mêmes problèmes stylistiques de son compagnon. Certes, la voix est bien charpentée, le timbre est beau, les aigus sont solaires, mais si sa tessiture convient au rôle, il est plus demandeur du point de vue de l'agilité que d'autres rôles mozartiens qu'elle interprète régulièrement. Vitellia n'est pas Donna Anna !

Si (Publius) offre une prestation honnête, on se régale à celles de (Servilia) et de (Sextus). La première confirme l'excellente impression laissée lors de sa Flûte Enchantée turinoise de la saison dernière. Avec un legato admirable, elle prend le cœur de chacun quand elle distribue ses aigus de velours. Son chant est si beau que qui chante avec elle voit le sien s'étoffer des plus belles couleurs. Ainsi la jeune (Sextus) perd toute la dureté de ses premières interventions lorsqu'elle s'allie à la soprano suisse dans le duo Ah, perdona al primo affetto du premier acte.

De son côté, la mezzo-soprano (Sextus) se dépense sans compter dans un rôle qu'elle interprète avec une grande intelligence vocale et une belle présence scénique. Son Parto. Ma tu ben mio… donne le frisson. Tout comme Quello di Tito è il volto !

Le non-conformisme aux besoins de la musique de Mozart de et de Giuseppe Filianotti est d'autant plus regrettable que le chef (avec une étrange similitude de la gestuelle avec celle de son illustre oncle, Claudio Abbado !) tire de l'Orchestre du Teatro Regio des couleurs d'une rare beauté. A noter encore, les superbes interventions du clarinettiste solo de l'orchestre du Regio qui hisse son instrument au niveau des meilleurs interprètes du plateau vocal. Avec un tel tapis musical, il semble qu'il ne reste à chacun qu'à s'y laisser bercer. Dommage que le paraître de certains comptait plus que la musique de Mozart !

Crédit photographique : Ramella & Giannese © Fondazione Teatro Regio di Torino

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