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Impressing the Czar par le Ballet Royal de Flandres

Malgré ses vingt ans d'âge, ce ballet foisonnant provoque encore l'étonnement, l'admiration, mais aussi la perplexité chez le spectateur.

Il dure plus de deux heures et requiert de la part des interprètes des ressources physiques maximales : disons tout de suite que la troupe du est impressionnante à ce point de vue, et que sa maîtrise parfaite de la technique met superbement en valeur les mouvements chorégraphiques, que ce soit dans les soli ou dans les ensembles.

Impressing the Czar a été créé pour le Ballet de Francfort qui l'a joué jusqu'en 1995. Ensuite, il est tombé dans l'oubli, sans doute à cause de la difficulté que représente la mise en scène d'une telle œuvre, et c'est au qu'échoit la redoutable mission de le faire renaître. connaît bien et elle a décidé, avec l'aide d'anciens danseurs du Ballet de Francfort, de se lancer dans cette entreprise complexe et risquée. De toute évidence, ses efforts ont porté leurs fruits ; l'engagement des danseurs paraît total, et il semble que cela corresponde aux exigences du chorégraphe américain : pas de routine, mais de l'inventivité et de l'enthousiasme communicatif.

Impressing the Czar se présente en trois actes, bien qu'il y ait cinq parties nommées dans le programme. La première, la Signature de Potemkine, pourrait s'intituler en fait : « J'assume l'héritage du passé » ; elle montre ce qui plaisait à la Cour de Russie du XIXe siècle en matière d'art chorégraphique. Nous y voyons défiler les pas de deux, les ensembles tels qu'on peut les voir dans le Lac des cygnes, mais aussi des scènes de pantomimes évoquant l'amour ou d'autres situations convenues. L'aspect stéréotypé des schémas du ballet romantique est souligné par une danse un peu saccadée, mais tout à fait académique, avec gestes arrondis des bras et pointes. Cette présentation est troublée par la présence burlesque d'une multitude de sketches joués par des groupes au comportement bizarre : deux gamines en jupe plissée et socquettes blanches vocifèrent au téléphone dans un anglais incompréhensible ; deux frères à lunettes ont l'air complètement allumés ; un Cupidon vêtu à l'antique tire à l'arc ; un héraut, sans doute Mr. Pnut, arpente l'espace et dans le décor le sens des deux cerises géantes, qui réapparaîtront au second acte, restera un mystère pour le spectateur.

La seconde partie, In the middle, somewhat elevated, est réservée à une célébration de l'art de la danse comme la matérialisation d'un concept. Admirablement servie par la musique sur sons fixés faussement répétitive de , cette phase du ballet est réellement envoûtante ; la beauté des évolutions est un hymne au corps humain. Utilisant toutes les techniques du passé de la danse qu'il mêle aux postures contemporaines, le chorégraphe réussit à provoquer un instant « un tant soit peu élevé », disons carrément : un bonheur en apesanteur.

Le premier tableau de la troisième partie ironise d'une façon douloureuse sur la position de l'artiste dans le monde moderne. Une pimbêche snobinarde vend « mezzo prezzo » (mais hélas pas mezzo voce !) aux enchères des danseurs habillés de costumes dorés, afin sans doute qu'ils soient plus tentants, mais ces danseurs sont sans visages, affublés de masques surréalistes qui évoquent les tableaux de James Ensor. Des éléments mobiles du décor du premier acte reviennent dans ce tableau ; ils semblent vouloir dire que l'artiste a aussi été par le passé un objet dont on use à son gré. Le second tableau de cette troisième partie réunit les deux derniers titres et présente un groupe d'écolières féroces, auquel se joint toute la troupe dans le final. Des rondes se font et se défont dans une chorégraphie inexorable et avec une synchronisation parfaite. On ressent cela comme une pulsion sauvage ; cette force brute exprimée de la sorte semble être un rappel de l'esprit sacré de la danse primitive, un rappel du moment où le corps devient l'instrument qui permet la communication avec les dieux : on retrouve là l'esprit du Sacre du Printemps.

, assistée des maîtres de ballet Christiane Marchand et Gideon Low, a bien voulu à la fin du spectacle répondre aux questions du public. Elle a déclaré que voulait des spectateurs intelligents qui s'interrogent en permanence sur le sens de sa danse. Elle a expliqué que pour lui, les danseurs devaient aussi participer à la création ; en effet, à partir de « modules » créés par le chorégraphe, ils peuvent choisir l'ordre dans lequel ils les utilisent, les répéter et parfois en inventer des prolongements. Cette vision aléatoire de l'œuvre rejoint des préoccupations de compositeurs contemporains ; en donnant un statut plus important à l'interprète elle confère à la représentation le sens de l'éphémère et de l'unique, qui la rend si attachante.

Crédit photographique © & Rob Fordeyn

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