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L’Apothéose du hallebardier

L'histoire, parfois, a de bien curieux raccourcis : entendre le plaidoyer de Posa venant faire ses adieux à Carlo dans sa prison (Acte III, scène 2) prêt à se sacrifier pour la liberté de la Flandre, sonne curieusement sous les ors de l'Opéra Royal de Wallonie…

Et il importe peu que les territoires géographiques dont il est question dans cet opéra se déroulant sous le règne de Philippe II (1556-1598) ne soient pas les mêmes que les Provinces belges d'aujourd'hui. On ne peut s'empêcher de penser à la situation politique outre-quiévrain… Mais, rapidement, les parallèles s'estompent tant le travail de – ancien directeur de la maison liégeoise et désormais en poste à Monte-Carlo – nous entraine vers le passé, vers ces âges reculés où la mise en scène n'était qu'illustration linéaire de l'action et où les chanteurs ressemblaient plus à des potiches qu'à des personnages de chair et de sang. On sent en effet comme un parfum de naphtaline au cours de cette production désuète qui agace au début, mais qui, au final, se révèle charmante : dans des décors évoquant un Escurial de convention évoluent des personnages en costumes d'époque chantant face au public, statiques, et une foule de hallebardiers… Ah, le hallebardier ; cet acteur muet et (presque) passif, symbole d'un théâtre figé trône en majesté au cœur de la réalisation de Claire Servais, complice de toujours de . Certains, autour de nous, raillèrent avec (trop de) véhémence ce passéisme et la lourdeur d'une mise en scène tout entière incarnée dans la présence d'immenses croix qui semblent parfois écraser la destinée des différents protagonistes. La production liégeoise possède cependant le charme suranné des pièces rarement aérées de ces demeures de famille où flotte une odeur de renfermé, douceâtre et envoûtante. Sur le plan musical, les choses furent un peu plus dynamiques et le chef hongrois Balázs Kocsár a pu montrer sa maîtrise d'une partition qu'il connaît bien pour l'avoir dirigée à Bâle… même si les instrumentistes de la phalange wallonne semblaient parfois avoir la tête ailleurs, comme certains membres des chœurs. Tout cela demeure néanmoins d'honnête facture…

Sur scène, par contre, le rôle le plus excitant, celui dont on attend tous les délices, celui, évidemment d'Elisabetta di Valois, ne nous convainc guère : si l'on sent toute la richesse potentielle du timbre de Monique McDonald, elle ne réussit qu'une performance terne, pêchant considérablement dans les aigus. Malade – ceci expliquant peut-être cela –, la soprano américaine demeura, ce soir de première, bien au-dessous de sa réputation. Dommage, puisque le reste du plateau vocal était plutôt séduisant avec une Eboli de belle tenue incarnée par la jeune et prometteuse Carla Dirlikov au très joli timbre (qui tire son épingle du jeu avec brio d'une partie très délicate à chanter), une voix du ciel lumineuse qu'on ne peut qualifier que de… céleste (Marina Zyatkova) et le Tebaldo bondissant et mutin d'Oriana Kurteshi dont la prestation, à l'Acte I, est une véritable fête.

Quand, après la pause, au début de l'Acte III, le directeur de l'Opéra Royal de Wallonie, monte sur scène, on se doute que la nouvelle qu'il va annoncer ne sera pas bonne : Hao Jiang Tian vient de tomber dans l'escalier… et il doit chanter un air particulièrement difficile, « Ella giammai m'amo », où Philippe II médite sur sa solitude, lui qui détient le pouvoir absolu mais s'est empêtré dans les rets amers d'un mariage sans amour. La basse chinoise réalise pourtant une prestation remarquable suscitant de nombreux vivats… et éclipsant presque le Posa chaud et élégant de et la fougue altière de qui sied particulièrement bien au rôle-titre de l'opéra de Verdi. Saluons pour finir la présence de Luciano Montanaro qui fut un Grand Inquisiteur d'anthologie : cette basse, que nous n'avions encore jamais entendue chanter, se révèle tout simplement époustouflante par sa puissance sonore et sa manière d'habiter un rôle qui, pourtant, avait tout pour être fade et désincarné dans la mise en scène… Cette découverte justifie à elle seule notre déplacement en terre liégeoise.

Crédit photographique : (Don Carlo) & (Rodrigo) © Jacques Croisier

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