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Fedra d’Ildebrando Pizzetti : attention chef-d’œuvre !

Les révélations du Festival de Radio-France et Montpellier ont parfois réservé le pire (Germania), ce qui veut dire que le meilleur peut arriver. Pari tenu avec cette Fedra d', partition qui patientait depuis presque un siècle dans son tiroir.

Si le compositeur ne transcende pas le pompeux livret de Gabriele D'Annunzio, il livre un drame poignant, bouleversant, d'une inventivité continue.

Nourri au chant grégorien, à la polyphonie de la Contre-Réforme et aux œuvres instrumentales du Settecento qu'on redécouvrait à peine, n'oublie pas qu'il vient de la patrie de l'opéra ni qu'il est un enfant de son époque, ouverts aux nouveautés de Wagner, Strauss ou Debussy. L'écriture orchestrale de Fedra est opulente, riche, l'instrumentation est recherchée, faite de subtils alliages. Le langage utilisé est résolument modal, ce qui n'empêche pas les chromatismes qui ne sont pas employés à des fins expressives mais comme les composants d'une échelle de notes à l'intérieur d'une gamme. Le sujet est propice à une mise en musique parfois grandiloquente, quasi cinématographique, mais ne couvre que fort rarement les voix, malgré l'effectif pléthorique demandé. Vocalement une sorte de récitatif domine, rythme et hauteur essayant de suivre pour le mieux la prosodie du texte. Evidemment le figuralisme domine, les moments les plus intenses se chargent de vocalises, de notes tenues et de points d'orgue.

Cette œuvre, aussi belle soit-elle, est aussi redoutablement difficile. Le rôle-titre est écrasant. Le ténor pour Ippolito doit être fait du même acier (trempé) que Turridu ou Calaf. Les personnages secondaires sont soumis à des ensembles d'une grande complexité, le chœur – qui n'apparaît qu'à l'acte III – se voit gratifié d'un longue psalmodie du pupitre de ténor suivie d'une polyphonie dense aux mélodies enchevêtrées, le tout a capella. A l'orchestre, nul moment d'ennui derrière les pupitres : la virtuosité exigée est digne de celle des opéras contemporains de . Félicitations à l'Orchestre National de Montpellier et à Enrique Mazzolla qui tient ses troupes dans 140 minutes de flot musical sans un instant de répit (si ce n'est le traditionnel entracte).

Le plateau n'est pas en reste. Annoncée grippée, peine en début de représentation, la voix semble fuyante dans le médium, inaudible dans le grave. Peu à peu, l'instrument s'échauffe, les aigus se font rayonnants, la cantatrice se fait tragédienne. A ses cotés, excelle en Ippolito, il possède la voix idéale pour ce répertoire. Chang Han Lim a les décibels nécessaires pour affronter Teseo, mais peut-être pas le style ni la maturité exigés, à l'inverse de , qui semble bien plus à l'aise. impressionne par sa voix chaude de contralto dans le rôle de l'ancêtre Etra, sorte d'Erda méditerranéenne. De la pléthore de seconds rôles se distinguent le filet de voix d'Uran Urtnasan-Cozzoli, jeune soprano venue d'Oulan-Bator (Mongolie), à l'aube d'une belle carrière et la basse , océanographe reconverti avec bonheur dans le chant lyrique et ancien pensionnaire du CNIPAL de Marseille.

Une version mise en scène de ce chef-d'œuvre oublié s'impose ! Une immortalisation en disque aussi. Et, soyons optimiste : une captation vidéo d'une prochaine version scénique.

Crédit photographique : © Marc Ginot

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