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Le pianiste Dinu Lipatti, une icône légendaire

EMI Classics publie en sept CD la compilation la plus complète à ce jour des enregistrements consacrés au pianiste (1917-1950), et cela à l'occasion de la parution, chez Actes Sud, de La Quatorzième Valse, ouvrage consacré au musicien roumain et rédigé par l'excellent André Tubeuf.

Qui d'ailleurs mériterait plus que , véritable icône du piano, de figurer dans cette belle série Icon d'EMI ? Décédé de leucémie à l'âge de 33 ans, il entre dans la légende malgré – ou peut-être par – une discographie relativement réduite mais bien suffisante pour constater que le destin nous a cruellement enlevé l'un des pianistes les plus purs et les plus doués du XXe siècle. À vrai dire, des accords EMI – Electrecord auraient pu permettre une réelle intégrale comprenant également la Bourrée de la Suite n°2 pour piano en ré majeur op. 10 et les Sonates n°2 et n°3 pour violon et piano de (avec le compositeur au violon), ainsi que la Sonatine pour la main gauche et le Concertino en style classique pour piano et orchestre de chambre de par lui-même. Mais tel quel, cet album EMI est de toute façon un véritable trésor, et de plus les enregistrements roumains sont toujours disponibles en double CD chez Electrecord (EDC430/431).

Lipatti acquit d'emblée la popularité grâce à son interprétation de Jésus que ma Joie demeure de Bach, et cela à un point tel qu'on lui en attribua la transcription, alors que c'est la pianiste anglaise Myra Hess (1890-1965) qui l'avait réalisée. Mystérieusement et un peu par magie, il en fit véritablement un «tube» avant la lettre, avant Les Quatre Saisons ou autres Concertos Brandebourgeois, et comme le dit si merveilleusement André Tubeuf, la raison en est vraisemblablement qu'une œuvre aussi brève – environ trois minutes – faisant aussi peu de bruit, pleine et complète, facile à identifier, porte en elle-même sa lumière, son émotion, sa qualité de présence qui était aussitôt assimilée à la fois à Bach et à Lipatti, son interprète : cette page peut être considérée comme la signature, le sourire et la lumière qui émanent du pianiste, en plus d'être le chemin le plus simple possible qui puisse conduire à l'immensité de Bach.

Une grande partie de l'héritage discographique de Lipatti réside d'abord en ces enregistrements solo de juillet 1950 réalisés chez lui à Genève, sous l'action euphorique de la cortisone, par Columbia et son directeur artistique Walter Legge, gravures résultant de la mise au point d'un programme donné pratiquement à l'identique en septembre à Besançon, son ultime récital miraculeusement conservé sur bande par la Radiodiffusion Française, seule possibilité d'entendre son incomparable interprétation de deux Impromptus de Schubert. Hormis les œuvres concertantes et quelques autres pièces en solo, le coffret EMI sous rubrique nous propose ainsi ce double héritage, à la fois sous son aspect «studio» à Genève, et sous sa forme «live» à Besançon.

Le 16 septembre 1950, Besançon fut donc le témoin du courage d'un pianiste qui se sait malade incurable et condamné, mais qui ne veut pas décevoir son fidèle public : épreuve d'endurance d'un homme qui rassemble toutes ses forces en vue de cet ultime récital qu'il ne pourra pas entièrement honorer, puisqu'il ne pourra s'acquitter de la dernière – en l'occurrence la Valse n°2 en la bémol op. 34 n°1 – des Quatorze Valses de Chopin inscrites à son programme (d'où le titre de l'ouvrage d'André Tubeuf).

Même au seuil de la mort (survenue le 2 décembre à Genève), c'est un message de vie, d'espérance et de lumière, de transcendance, offert par cet être qui était la musique incarnée, et même dans cet effort surhumain de son dernier récital, il refusait de laisser passer quoi que ce soit de son drame et de son combat personnels : si le public avait pu les percevoir dans sa musique, Lipatti n'aurait certainement pas donné cette ultime prestation. Il est d'ailleurs extraordinaire de constater la constance d'interprétation – preuve d'une maîtrise absolue de cet artiste, quelles que soient les circonstances – entre les gravures de Genève et le legs de Besançon.

Un trésor à écouter et réécouter … à chérir et à en méditer le message d'élévation spirituelle.

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