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Divorce à l’Italienne de Giorgio Battistelli ou comment se débarrasser de son épouse

Soirée en forme d'événement à Nancy pour l'ouverture de la saison, puisque était présenté en création mondiale la nouvelle œuvre de l'italien , fruit d'une commande de l'Etat et de l'Opéra national de Lorraine.

Compositeur prolifique et reconnu, a puisé son inspiration dans l'univers cinématographique, comme il l'avait déjà fait pour Teorema (d'après le film de Pasolini) en 1992 ou Prova d'orchestra (adaptation libre du film homonyme de Fellini) en 1995. Son choix s'est cette fois porté sur Divorzio all'Iltaliana, un film de Pietro Germi avec notamment Marcello Mastroiani et Stefania Sandrelli, sorti en 1961 et considéré comme le prototype de la comédie de mœurs satyrique «à l'italienne» que ou Dino Risi, entre autres, porteront à son apogée.

Au début des années soixante, dans une petite bourgade de Sicile, le quadragénaire Don Sandrino Ferraù (Fefè pour les intimes) est tombé amoureux de sa jolie cousine de dix-sept ans, Angela. Cet amour est payé de retour mais, las, Fefè est encombré par son épouse trop aimante Rosalia et le divorce est interdit en Italie (il n'y est légalisé que depuis 1970). Fefè complote donc pour faire retomber Rosalia dans les bras de son premier amour, Carmelo Patanè. Il ne lui reste alors plus qu'à surprendre les deux amants en flagrant délit, à les tuer et à n'écoper que d'une peine légère, ainsi que le prévoit la loi italienne de l'époque pour les crimes d'honneur. Enfin libre, il peut convoler avec sa dulcinée mais celle-ci préfèrera s'enfuir en robe de noces avec le séduisant et jeune photographe en charge des photos du mariage.

L'action musicale – c'est ainsi que la nomme le sous-titre de l'ouvrage – qu'en a tirée prend la forme d'une succession de vingt-trois courtes scènes reliées par de brefs intermèdes orchestraux, aux didascalies très précises et détaillées. Le metteur en scène en joue en virtuose, dans le beau décor unique de Richard Hudson qui campe une placette du sud italien, hommage à Giorgio de Chirico, avec son escalier central qui monte vers l'église du village et ses deux arcades latérales, violemment éclairé par les lumières très colorées de Fabrice Kebour. L'avant-scène est dévolue à l'univers domestique, avec ses éléments signifiants et triviaux (canapé, gazinière, table, cuvette de WC). parvient à rendre l'action clairement intelligible, sans temps mort, avec une parfaite fluidité des changements de scène à vue. Quelques projections vidéo apportent un contrepoint bienvenu en nous révélant les rêves ou les non-dits des personnages. La direction d'acteurs tire le plus souvent l'œuvre du côté de la farce – le public rit souvent de bon cœur – mais, ce faisant, occulte quelque peu l'aspect critique et satyrique du film. On éprouve quelques difficultés à y retrouver les intentions du compositeur, qui parle dans le programme de salle de «désagrégation du noyau familial qui dévoile toute la fragilité humaine».

Musicalement, la partition très travaillée de Giorgio Battistelli propose une succession d'atmosphères sonores, évoquant les lieux ou les situations dramatiques. Faisant la part belle aux cordes, aux longues tenues transparentes et aux glissandi expressifs, l'écriture musicale est ponctuée de cellules sonores rythmiques aux bois, aux vents ou aux percussions, contemporaine sans systématisme, dissonante sans agressivité. En héritier de la grande tradition du chant italien, le traitement des voix est remarquable en qualité de la prosodie comme en tenue et plasticité de la ligne vocale, toujours à visée expressive. L'émission vocale est enrichie sans excès de parlando, de chant syllabique, d'onomatopées et de bruits buccaux. Giorgio Battistelli ménage même, dans le flux musical continu, des moments de suspension de pur lyrisme, quasiment de grand airs à l'ancienne. Bref, une musique de notre temps parfaitement «audible», même pour des oreilles non exercées, cependant un peu lisse ou, du moins, à laquelle manquent quelques éclairs véritablement de génie pour durablement marquer les esprits.

L'idée de confier l'ensemble des rôles féminins, hormis celui de la jeune Angela, à des hommes s'avère en revanche très payante et du plus haut effet comique. Et cohérente de surcroît, puisque dans le sud italien ce sont les femmes qui «portent la culotte» ! En Donna Rosalia, l'épouse délaissée puis adultère de Fefè, le baryton-basse nous gratifie ainsi d'une composition monumentale, pas toujours d'une extrême finesse mais absolument impayable. Tout aussi irrésistible est l'idée d'avoir choisi, pour son amant Carmelo, un sopraniste à la voix éthérée et tout sauf virile en la personne de Bernhardt Landauer, dont la silhouette filiforme contraste comiquement avec les formes plantureuses de Rosalia. En Fefè, le mari volage souhaitant dénouer les liens du mariage, réussit comme à son habitude une impeccable incarnation tant vocale que scénique. Toute la distribution s'avère d'ailleurs parfaitement préparée et impliquée. On y remarque notamment le beau soprano lyrique, à la partie vocale très tendue, de Theodora Gheorghiu en Angela. Grande satisfaction aussi du côté de la fosse, où l', concentré et homogène, montre une ductilité et une maturité réjouissantes sous la baguette précise et visiblement charmée de . Le Chœur de l'Opéra national de Nancy mérite les mêmes éloges.

Reçu chaleureusement par un public fourni (pour une œuvre contemporaine inconnue), ce Divorce à l'Italienne est apparu plutôt réussi. Cette série de représentations nancéiennes restera-t-elle unique ou l'œuvre sera-t-elle reprise comme d'autres compositions de Giorgio Battistelli, il est trop tôt pour en juger. Saluons cependant le courage de l'Opéra de Nancy qui, en commandant et en montant un ouvrage lyrique à un grand compositeur contemporain, a parfaitement rempli sa mission de service public et tenu son rang d'opéra national.

Crédit photographique : (Fefè) ; (Donna Rosalia), Bernhardt Landauer (Carmelo Patanè) & (Fefè) © Marc Antoine

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