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Leçon d’orchestre à la hongroise

Parfois, les superlatifs manquent. Que dire de ce concert ? Que dire de l' ? Que dire d'Ivan Fischer dirigeant Mahler ? Existe-t-il des adjectifs suffisant pour qualifier cette soirée ? Sûrement, la langue française est riche. Mais une description objective d'une telle exécution reste un exercice périlleux.

Commençons simplement : la disposition inhabituelle en miroir de l'orchestre. Premiers violons et violoncelles à gauche, altos et seconds violons à droite (face aux premiers donc), et entre les deux groupes de cordes, face au chef, au premier plan, les harpes. Les bois restent traditionnellement sur deux rangées, encadrés à gauche par l'imposant pupitre de cors (dont le postillon), et à droite par les trompettes, trombones et tubas. En demi-cercle autour des vents et cordes, de gauche à droite, batterie et accessoires, contrebasses (en fond de scène donc) et timbales. Les sonorités graves sont centrées, le déploiement des instrumentistes en éventail autour du chef donne un véritable effet de stéréophonie. Et la magie, dès les premières mesures du vaste premier mouvement, peut commencer.

La justesse d'emblée frappe les oreilles de l'auditeur. Justesse d'intonation bien sur, la Symphonie n°3 de Mahler révèle plus d'un piège à ce niveau, telle l'introduction aux huit cors à l'unisson, ou cette mélodie à la fin du premier mouvement jouée aussi à l'unisson par quatre piccolos et deux clarinettes en mi bémol. Un défi de justesse, mais aussi un défi d'équilibre sonore. Ce soir il n'en fut rien, toutes ces difficultés sont détournées avec grâce et naturel. Les cordes sonnent comme un seul homme, tel un quatuor amplifié, les vastes accords de cuivres emplissent l'espace sonore sans tonitruer, la petite harmonie est d'une précision presque diabolique, le pupitre de percussion se fond dans cette masse sans jamais la dominer. Un exemple de maîtrise de l'orchestre et de façonnage du son du aux vingt-cinq années de labeur ininterrompu d' à la tête de son , première initiative d'un ensemble sur fonds privés dans une Hongrie encore membre du Pacte de Varsovie en 1983. Un travail de fond, sur du long terme, un véritable artisanat sonore qui fait de plus en plus cruellement défaut aujourd'hui. Homogénéité ne rime pas forcément avec uniformité, chaque membre de cet orchestre est un soliste en puissance, comme en témoigne pour cette symphonie Violetta Eckhardt (violon), Dudu Carmel (hautbois), Zoltán Szõke (cor de postillon), Balász Szakszon (trombone) et les timbaliers Roland Denés et Sylvain Bertrand, unique français de cette formation pour cette soirée.

Justesse de lecture aussi d'. Jamais Mahler ne paru si «mitteleuropéen». Les vastes thèmes qui parcourent le premier mouvement sont dotés d'un souffle épique qui jamais ne se relâche. Les quelques passages festifs, ländlers et autres valses, sont dansants et virevoltants comme jamais. Le Comodo scherzando central est pris dans une allure modérée, qui accentue son aspect déstructuré et sardonique. L'ultime mouvement, que Mahler voulait consacrer à l'Amour est d'une langueur presque insoutenable, les vastes crescendos, excellemment dosés, aboutissent à des moments de paroxysmes toujours maîtrisés. Bien que la voix ne soit présente que dix minutes sur les cent que compte l'œuvre, elle trouve un médium idéal avec Birgit Remmert, la et ces demoiselles du Jeune chœur de Paris. Peut-être l'effectif choral aurait gagné à être plus étoffé face à une telle masse orchestrale.

Une chance que cette Symphonie n°3 ne figure pas cette année dans les concerts d'abonnements parisiens. La comparaison aurait été inévitable et surtout terriblement cruelle.

Crédit photographique : © DR

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