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Le charme viennois d’Arpiné Rahdjian

Si La Chauve-Souris est une comédie française «à-la-Feydeau» avec ses rebondissements, son cocu, ses portes qui claquent, l'opérette qu'en a tirée Johann Strauss II reste dans la tradition sinon viennoise, du moins germanique de ces spectacles légers.

Le public y vient déjà conscient de la soirée divertissante qu'il va passer connaissant pertinemment les tenants et les aboutissants de la farce. Fort du succès que remporte toujours cette opérette, Bernd Mottl n'a pas jugé bon d'investir ce spectacle d'une ligne narrative cohérente. Situant le premier acte tout à la fois dans les années cinquante (pour les meubles) et quatre-vingt dix (pour les visualisateurs électroniques d'ouverture des portes), son second acte replonge le spectateur chez un Prince Orlofsky nageant dans un décor de la Belle Epoque alors que le dénouement de l'affaire se déroule étrangement aux abords incongrus d'une boîte de sardines sur fond noir ! Bonjour l'unité de temps ! Reste que dans cette confusion, la direction d'acteurs est plaisante avec un soin du burlesque qui malheureusement va s'amenuisant au fur et à mesure qu'avance le récit. Si l'on rit franchement au premier acte, on sourit au second et on s'ennuie au dernier.

Heureusement, la distribution vocale redore cette production. Marquée du sceau d'une belle découverte. Celle du charme viennois de la soprano autrichienne (Rosalinde). Quelle voix magnifique. Charnue, envoûtante, passant des graves aux aigus sans jamais faillir, elle remplit le théâtre d'une qualité vocale exceptionnelle. Dès son entrée, dès les premières notes, elle perle l'authenticité artistique. Pas besoin de débordements théâtraux avec cette musicienne dans l'âme, sa seule voix assure une présence charismatique évidente. On tombe sous le charme de sa vocalité, de sa lecture du texte pleine d'esprit et de sa parfaite préparation. Scellant son rôle dans l'élégance de la Vienne de Johann Strauss, elle enchante bien avant d'enthousiasmer dans la célébrissime csardas du second acte qu'elle exhale magnifiquement mêlant mélodie et humour. A ses côtés, le baryton (Gabriel von Eisenstein) s'avère un compagnon de scène de premier ordre. Ne ménageant jamais son talent vocal, il maintient une énergie musicale de bon aloi sur une scène qu'il fait sienne à force de sauts, de chutes et d'enjambées débridées. Autre confirmation, la soprano (Adele) dont la voix admirablement conduite scintille d'un bout à l'autre de la soirée sans jamais marquer le pas sur la puissance d'émission. Desservie par la mise en scène (pourquoi en faire une femme de ménage au premier acte puis une dame de la noblesse au second ?), elle impose cependant sa voix dans la justesse du personnage qu'on lui impose de jouer. Bravo l'artiste ! Seule déception, la mezzo (Le Prince Orlofsky) manque sensiblement de couleurs vocales et d'explosions scéniques pour faire ce qu'on aurait pu attendre de son personnage pourtant habillé en un espèce de Freddy Mercury du plus bel effet. Si le plateau vocal reste majoritairement très convaincant, il ne le doit en tous cas pas à la direction d'orchestre de qui semble passer complètement à côté du charme extraordinaire de la musique de J. Strauss. Le chef serbe fait du gros drap là où l'on espère de la dentelle. Quelles lourdeurs, quelle manque de finesse.

Crédit photographique : (Gabriel von Eisenstein) & (Rosalinde) © Stadttheater/Philipp Zinniker

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