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Massacre de Wolfgang Mitterer, l’art de se soucier de l’autre

«Ce qui compte se trouve à la lisière de tout et dans l'art de se soucier de l'autre».

Voilà une déclaration peu commune dans le milieu plutôt égocentrique des compositeurs davantage soucieux de travailler dans leur ligne et à l'insu de l'autre. On la doit à , un compositeur-interprète – la chose est d'importance en matière de partage – né à Linz en Haute-Autriche où il commence à travailler l'orgue, un instrument qu'il joue au quotidien et en concert (on a pu l'entendre au festival Musica de Strasbourg en septembre dernier). Son opéra Massacre, créé en 2003, y était redonné dans une nouvelle production qu'accueillait à son tour le Théâtre de Saint Quentin en Yvelines ce jeudi 9 octobre.

Si le livret de Massacre, écrit en anglais par Mitterer lui-même (assisté de ) d'après l'ouvrage de l'écrivain élisabéthain Christopher Marlowe, nous transporte en 1572 – les costumes sont d'époque – pendant la nuit de la Saint-Barthélemy, c'est à un questionnement plus actuel – comme celui de la guerre d'Irak déclarée en 2003 – qu'il renvoie à travers l'écriture «forte et simple» de Marlowe. «C'est important pour moi de donner aux chanteurs des mots avec lesquels ils peuvent engager leur âme» précise le compositeur. Il est important aussi pour Mitterer de laisser une marge d'autonomie à ses interprètes à travers une écriture oscillant entre liberté (celle de l'improvisation) et nécessité : Il y a une chance, dit-il, que «l'expressivité devienne plus grande quand diminue l'exigence du simple accomplissement de son devoir».

Pour opérer le décalage entre la représentation historique qui tient davantage de la farce funèbre – les visages grimés accuse la distance – et l'actualité du propos, introduit le personnage de la victime – remarquable Stéfany Ganachaud – une silhouette blanche aux contorsions expressives constamment «foulée aux pieds» par les cinq personnages «d'en haut», princes ou rois de France et de Navarre. Sur le devant du plateau baigné d'obscurité, une vidéo prélève en direct certains détails colorés des visages ou du corps de la danseuse projetés sur l'écran de fond de scène ou stockés sur des moniteurs fixés en hauteur. Autant d'éléments visuels et de jets de lumière qui servent très efficacement la dramaturgie engagée par les chanteurs et la musique durant les dix-sept «stations» de l'opéra s'achevant sur l'assassinat du Duc de Guise.

Exceptée la voix mâle de ce dernier – remarquable – le registre vocal est situé dans l'aigu des tessitures exaspérées jusqu'au cri – une stylisation qui met d'emblée le spectacle sous haute tension. Le courant passe d'ailleurs merveilleusement bien du plateau à la fosse où les instrumentistes souvent court-circuités par l'électronique semblent pratiquer une improvisation collective – arbitrée cependant par – à l'écoute des chanteurs qu'ils relayent par des «chorus» très exposés. De cet univers bruitiste qui colore l'ensemble émergent parfois des sonorités de référence – clavecin d'époque, citations de Bach, Tallis… – faisant basculer l'écoute dans l'une ou l'autre des strates temporelles.

La réussite de Massacre tient à cette étonnante convergence de matériaux hétérogènes que Metterer parvient à lier dans un flux dramatique puissant autant que foisonnant entretenu par la pluralité des sources mises à l'œuvre.

Crédit photographique : © Osaka. at ; Massacre © M. Lemelle

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