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Staatskapelle Berlin / Pierre Boulez : Autopsie musicale

Voir diriger à Paris reste un événement, en dépit des nombreuses apparitions du compositeur sur les scènes parisiennes cette année. L'on attendait beaucoup de ce concert, qui réunissait un orchestre allemand de réputation internationale, un chef mondialement admiré dans un répertoire qui a conquis tardivement un très large public, des lieder de issus du Knaben Wunderhorn et la Symphonie n°4 d'après le recueil de poèmes populaires allemands d'Arnim et Brentano.

La direction de Boulez était comme à son habitude économe. Et le chef fidèle à lui-même concernant ses options d'interprétation : une parfaite lisibilité de la trame orchestrale et une pulsation rigoureuse – l'un étant la condition de l'autre. Grâce à cela, l'auditeur se surprend à tout entendre. Les contrechants sont mis à nus, les doublures orchestrales décortiquées, l'espace sonore désarticulé. L'œuvre révèle ses secrets, l'attention est alors centrée sur le détail. Mais c'est là sans doute le problème d'une telle appréhension des œuvres : la sensation d'un déploiement mélodique homogène, d'un tout formellement construit, d'une cohésion à grande échelle – notamment pour la Symphonie – est rendue délicate, voire problématique. C'est aussi la résultante d'une hiérarchisation des données musicales étrangère aux habitudes d'écoute de ce répertoire – l'approche de Mahler par Boulez a d'ailleurs toujours été perçue comme originale.

La battue du chef, univoque, aurait méritée d'être assouplie dans des lieder tels que Rheinlegendchen et Verlorne Müh', ainsi que dans le dernier mouvement de la Symphonie n°4, Das Himmlische Leben. Trop métronomiquement rigide, la pulsation ne pouvait exprimer l'ineffable tendresse de ces œuvres ou en exulter le caractère folklorique. Les partitions de Mahler sont pourtant truffées d'indications agogiques aussi précises que variées.

Saluons néamoins l'admirable discrétion de l'auteur d'Explosante-fixe dans l'accompagnement de la soprano Dorothea Röschman, dont la voix était clairement distincte. Soprano lyrique, elle a surmonté la principale difficulté vocale des Knaben Wunderhorn, qui est de chanter essentiellement dans le régistre médium – ces lieder sont d'ailleurs souvent abordés par des mezzo-sopranos et/ou barytons. Mais, si un voix plus dramatique aurait donné plus d'assise au lied Wo die schönen Trompeten blasen, Lob des hohen Verstandes ou encore Wer hat dies Liedlein erdacht? conviennent bien à des registres plus légers. D'ailleurs, seul le souffle un peu court de Dorothea Röschman compromettait son aisance.

C'est d'une grande soirée qu'il faut rendre compte, en dépit de toutes les remarques formulées ci-dessus. Car la gageure de Boulez est une réussite, ne serait-ce dans la mesure où elle permet de redécouvrir les œuvres. La Symphonie n°4, rapprochée communément au classicisme, apparait autrement complexe dès lors que son contrepoint est « exhumé ». Quant aux lieder extraits du Knaben Wunderhorn, ils sonnaient comme de la Hausmusik, à l'opposé d'approches plus spectaculaires. Sans un orchestre d'une excellence irréfutable, nul doute qu'une lecture bouleziennes des œuvres de Mahler aurait été moins convaincante. Il faut féliciter la Staatskapelle de Berlin pour l'investissement de ses membres, dont aucune des interventions ne nous semblait dénuée d'intention expressive.

Crédit photographique : © Deutsche Grammophon / Universal

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