- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Venise sur Vistule

Musique à la cour de Sigismond III

Etienne Meyer nous emmène encore une fois en voyage en Europe centrale : l'an dernier son concert «De Venise à Kromeriz» permettait de découvrir des œuvres cachées dans la bibliothèque d'un château en Moravie, cette année le périple nous conduit jusqu'à Varsovie, ville érigée en capitale royale par Sigismond III Wasa, qui est élu roi en 1587 et règne jusqu'en 1632. Monarque ambitieux et autoritaire, c'est aussi un souverain curieux, passionné de jardinage, de peinture et de musique : il entretient à grands frais un orchestre permanent et une chapelle dirigée par l'italien Pacelli. Mais c'est avant tout un catholique fervent qui entretient des liens étroits avec Rome ; d'ailleurs il n'hésite pas à pourfendre les «dissidents», c'est-à-dire les protestants. Au début du XVIIe siècle, le Saint-Siège voit sans déplaisir un souverain l'appuyer dans ces régions lointaines et le style adopté alors par la musique religieuse polonaise est conforme aux directives du Concile de Trente.

Etienne Meyer a choisi de mêler aux œuvres polonaises des œuvres de maîtres italiens : deux d'entre eux sont vénitiens. travaille avec son oncle Andrea à Saint-Marc et on peut penser qu'il transmet le style de ce dernier à ses nombreux élèves européens. La Canzon primi toni est caractéristique de l'écriture à deux chœurs de la basilique : ici les cordes répondent aux vents tels deux chœurs vocaux, et un délicieux rythme de pavane donne à cette pièce un dynamisme raffiné dans une interprétation élégante. Francesco Usper est lui aussi vénitien : prêtre, organiste et compositeur, il a été très actif au sein de sa scuola ; sa Sonata a 8 est d'une écriture solide, mais assez conventionnelle.

Etienne Meyer a aussi su nous faire entrer émotionnellement dans ce style vénitien transporté en Pologne. A l'aide d'une écriture complexe, parfois même écrite pour quatorze voix solistes, s'imposent un faste et une virtuosité qui nous enveloppent tels un tourbillon sonore : les solistes répondent au chœur magnifiquement équilibré, les instruments interviennent avec sensibilité sous la direction très précise de leur chef. On aimerait trouver dans le programme du concert une présentation succincte des textes latins, ce qui permettrait de mieux saisir le lien entre la musique et le texte. Quant aux auteurs polonais, que nous découvrons avec plaisir, ils apparaissent comme d'habiles faiseurs, à défaut d'être des compositeurs vraiment originaux.

Deux pièces plus recherchées tranchent cependant sur ce programme dédié à une musique officielle. In monte Oliveti de Zieleński, qui n'a pratiquement composé que de la musique religieuse et a surtout travaillé pour le fils et successeur de Sigismond, est une superbe pièce méditative s'appuyant sur des lignes mélodiques descendantes dans une sorte de réflexion mélancolique. Dulcis amor Jesu rappelle certaines inflexions suaves et douloureuses du «principe de Venosa» Gesualdo : ici Bartłomiej Pękiel nous régale de surprises harmoniques peu conventionnelles bien mises en valeur par des solistes expressifs et sensibles ; on peut regretter toutefois que le volume sonore de cet ensemble ne soit pas toujours très équilibré.

L'Association «» a pour principe de faire appel à de jeunes interprètes «en cours de professionnalisation», qu'ils soient tchèques ou français. Les chœurs retentissent d'une façon remarquable du haut de la tribune de la chapelle et les instrumentistes font sonner leur partie avec un plaisir visible : cornets à bouquin, viole de gambe, théorbe, dulciane, etc. Le travail d'Etienne Meyer est très convaincant dans ce répertoire, qui peut parfois paraître un peu trop sage.

Crédit photographique : © ABC

(Visited 84 times, 1 visits today)