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L’hommage lumineux fait à Stockhausen

Festival d'Automne

« Nous écoutons parce que nous appartenons à cet appel, musical, spirituel, sinon cosmique, qui nous est lancé ». Ainsi s'exprimait en 1948 dans une nouvelle récemment retrouvée (C'était comme un appel) que Laurent Feneyrou cite dans ses remarquables notices de programme du Festival d'Automne. Trois rendez-vous comprenant des créations et une représentation scénique avec la Fura del Baus et Musik Fabrik à la MC93 de Bobigny (l'acte central de Donnerstag aus Licht) constituent l'hommage lumineux que le Festival d'Automne rend à celui qui fut souvent l'invité de cette manifestation.

Le concert des 14 et 15 novembre à l'Amphithéâtre de l'Opéra-Bastille débutait par l'une des œuvres les plus émouvantes du jeune Stockhausen, son Gesang der Jünglinge (Chant des adolescents), une composition sur support née du désir d'écrire une messe électronique qu'il aurait aimé entendre résonner dans la cathédrale de Cologne. Si son vœu ne pu être exaucé, l'œuvre n'en est pas moins emblématique des aspirations spirituelles du musicien (« ce que j'accomplis ne vient pas de moi » dira-t-il) et des recherches avancées dans son exploration infatigable et minutieuse de l'univers sonore. Projetées dans l'espace avec l'extraordinaire mouvement de rotation entre les cinq haut-parleurs tel que l'a précisément conçu Stockhausen dès 1956, ces voix angéliques et délicates (citant le Cantique des trois jeunes gens dans la fournaise du Livre de Daniel) fondues dans la texture électronique avaient de quoi nous faire momentanément « oublier la terre ».

La dixième heure Glanz (Eclat) composée en 2004-2005 et extraite de Klang, le dernier cycle que Stockhausen ne parviendra pas à terminer, nous laissait sur ces hauteurs exaltantes : Grâce à des interprètes de très haut niveau – l'Ensemble Asko/Schœnberg, un collectif néerlandais spécialisé dans le répertoire des XXème et XXIème siècles – dont l'investissement scénique autant que musical élevait la prestation au niveau du rituel souhaité par ce penseur cosmique. La pièce, conçue à l'origine comme un trio (clarinette, alto et basson) sans le recours de l'électronique, est ponctuée par les apparitions très théâtrales de la trompette, du trombone et du hautbois extrapolant l'espace scénique. Si les gestes, la lumière et les costumes concourent au spectacle total, c'est la concentration sur le son et ses trajectoires dans l'espace qui confère à l'ensemble « sa force transcendantale ».

L'exigence de Stockhausen en matière d'interprétation instrumentale – à laquelle répondait ce soir la virtuosité de l'Asko/Schœnberg – est en quelque sorte mise en scène dans Orchester-Finalisten(1996), scène 2 de Mittwoch aus Licht extrait de son « théâtre liturgique en sept opéras », Licht… « La composition Orchester-Finalisten représente des musiciens d'orchestre sous les traits de finalistes, tels qu'ils jouent en public lors des concours de musique » explique le compositeur. Sur fond sonore électronique, les treize musiciens viennent à tour de rôle jouer leur solo (ponctué par de rares accords du tutti) sur le devant de la scène « où ils feront ainsi montre de leur musicalité, de leurs capacités et d'un nouveau style d'interprétation, incluant le jeu de mémoire, des mouvements personnels et une aura singulière » précise-t-il. On y reconnaît en effet certains gestes idiomatiques théâtralisés (ou plutôt ritualisés) mais sans la caricature ni la dérision de Kagel : l'effet d'archet du violoncelliste, l'effort de la flûtiste pour « décrocher » ses notes dans l'aigu, le jeu des sourdines du trompettiste… Galvanisés par la situation, les solistes vont peu à peu « se lâcher ». Ainsi dans le dernier solo, le tromboniste, tenant du derviche tourneur, termine sa prestation allongé sur le sol !

« Dans Licht, précise Stockhausen, j'ai davantage regardé, dans Klang, davantage écouté ». Pour nous, public, la fascination reste entière !

Crédit photographique : © Fondation Stockhausen

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