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Quand les lieder de Schubert perdent leurs paroles

Interpréter les lieder de au violoncelle, bonne idée diront les uns, sacrilège crieront les autres ! Pourtant, en écoutant ce disque, n'importe quel mélomane un poil sincère et sensible devrait en reconnaître l'intérêt musical, à moins qu'il ne s'agisse d'un anti-schubertien entêté, mais là on ne pourra rien pour lui !

Si on laisse de côté le fait qu'il s'agisse de lieder, on peut tout à fait prendre la plupart de ces pièces pour de gracieuses miniatures pour piano et violoncelle, romances, élégies ou autres fantaisies, appelez-les comme le voudrez… Peut-être vaut-il mieux d'ailleurs ne pas connaître les lieder originaux, et faire comme s'il s'agissait réellement de romances, comme le suggère  : «se détacher du texte et considérer chaque lied comme une petite pièce instrumentale ayant sa propre valeur…». Cela étant, il est vrai que connaître les lieder et leur contenu poétique sublime davantage l'émotion, mais il suffit pour cela de prendre connaissance des textes.

L'entreprise toute louable de Descharmes n'est ni audacieuse ni pionnière (Anne Gastinel, entre autres, s'y est déjà essayée), et elle est même justifiée par Schubert lui-même quand on sait le nombre de lieder que le compositeur a réutilisés dans ses œuvres de plus grande envergure (Quatuor «la jeune fille et la mort», Quintette «la truite», Octuor, Fantaisie pour piano et violon… ). Pensons aussi aux transcriptions de Liszt qui n'ont jamais eu de mal à intégrer le grand répertoire pianistique.

Ce qu'on peut en revanche reprocher à Descharmes, c'est de ne pas s'être suffisamment aventuré en dehors du champ des grands «tubes», même s'il faut avouer que le violoncelle se prête merveilleusement bien aux intemporels Im Frühling, Nacht und Träume ou Du bist die Ruh' par exemple, mais on ne voit pas trop l'intérêt de reprendre les lieder que Schubert a lui-même repris et magnifié dans d'autres œuvres, comme Die Forelle ou Sei mir gegrüsst. Aussi, le violoncelle ne convient pas forcément aux lieder plus dramatiques où le texte prime sur la mélodie (Gruppe aus dem Tartarus par exemple).

Ce que l'on retient le plus volontiers dans cet album que tout schubertien se devrait d'acquérir, ce sont ces petites perles de Schubert moins connues que les musiciens sont allés nous pêcher, comme die Mutter Erde ou An den Mond (sur un texte de Hölty), des lieder au parfum nostalgique dans lesquels le violoncelle peut déployer pour notre plus grand bonheur toute l'étendue de sa palette expressive et élégiaque.

S'il fallait enfin accorder un dernier mérite à ce disque, remarquons qu'il est susceptible de faciliter l'accès au monde des lieder de Schubert à ceux que les voix lyriques rebutent, surtout qu'à travers ces romances (sans paroles pour le coup !) les doux accents du piano et du violoncelle réunis nous dévoilent un Schubert plus romantique que jamais…

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