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Hélène réhabilitée

Dans le cadre d'un mini festival , programmant en alternance cinq ouvrages du compositeur, le Deutsche Oper de Berlin a eu l'excellente idée de nous proposer une nouvelle production de Hélène d'Egypte, le plus méconnu des ouvrages straussiens de la maturité.

Ni le livret, brillante construction intellectuelle signée Hofmannstahl, ni la partition dont Michael Kennedy a souligné le lyrisme radieux et l'orchestration raffinée, ne méritent en effet pareille négligence. Cette production souligne, s'il en était besoin, le charme pénétrant de l'ouvrage et sa viabilité scénique.

C'est en plasticien que aborde Hélène d'Egypte, jouant en virtuose des couleurs chaudes et des éclairages savants. Les superbes toiles peintes évoquent une Egypte revue au prisme d'Hollywood et la demeure d'Aithra est transformée en lupanar à soldats peuplé de femmes légères. Le plateau tournant permet, d'un salon cossu à une chambre déstructurée, de gérer les changements de lieu et d'ambiance en assurant une parfaite lisibilité à l'ensemble. La magie est suggérée sans artifices dans cette production fluide et élégante. Nous retiendrons des images particulièrement réussies comme celle d'Aithra chantant en solo devant un rideau bleu comme sa robe, dont le drapé et les mouvements évoquent délicieusement l'élément marin. La direction d'acteurs est précise et la mise en place irréprochable, mais le metteur en scène s'est intelligemment interdit d'infliger aux chanteurs des pièges supplémentaires à ceux, vocaux, que Strauss a conçu à leur intention.

La partition exige en effet des chanteurs d'exception. Le rôle titre, créé par Rethberg et bientôt repris par Jeritza, trouve en une interprète de très haut niveau. Nous ne savons que louer, de la projection impériale ou de la pureté des aigus, chez cette cantatrice capable de tonner par dessus les tutti orchestraux comme de plier sa voix à d'habiles nuances. Elle partage, de plus, avec une parfaite maîtrise du langage straussien. Celle-ci, costumée en vamp hollywoodienne, a conservé sa facilité dans l'aigu mais l'instrument s'est étoffé. Vocalement souveraine, sa magicienne mène le jeu avec une classe indéniable. Ewa Wolak, enfin, aborde le coquillage omniscient avec les moyens d'un authentique contralto.

Les satisfactions sont moindres côté masculin. Robert Chafin dispose de moyens plus modestes lorsqu'il s'agit de franchir le barrage orchestral ou d'exister dans les ensembles. Nous lui reconnaissons cependant une bravoure indéniable pour aborder ce rôle meurtrier, ainsi que de louables intentions musicales. Morten Frank Larsen possède une voix ample et corsée mais la tessiture du rôle d'Altair le met visiblement en difficulté, et la prestation s'avère crispée. Enfin, l'air – certes conventionnel – de Da-ud, appelait chanteur autrement stylé que celui de , ténor de caractère ici égaré.

A la baguette, ne recherche aucune subtilité mais veille à un très bon équilibre des forces instrumentales et vocales. Il fait miroiter les sonorités d'un orchestre de très haut niveau (bois veloutés, cordes sensuelles et cuivres autoritaires) et lâche les chevaux dans les points d'orgue, sans aucun désordre cependant. Il contribue ainsi à la réussite d'un spectacle de très haut niveau, qui donne furieusement envie d'entendre très bientôt Hélène d'Egypte sur une scène hexagonale, d'autant que l'issue de l'ouvrage est d'une morale édifiante : le sentiment véritable triomphe de l'illusion.

Crédit photographique : Robert Chafin (Ménélas) Ricard Marbeth (Hélène) © Deutsche Oper Berlin

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