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Neuvième de Bruckner par Luisi, une bonne analyse ne suffit pas toujours

Un des plus beaux orchestres du monde et une des plus géniales symphonies du répertoire sont deux bonnes raisons de prêter une oreille attentive à ce nouvel enregistrement de , actuel Generalmusikdirector à Dresde. Dans une brève interview, reproduite dans le livret, Luisi donne quelques clés de son interprétation : « Mon approche d'une symphonie de Bruckner est avant tout analytique. Ce qui m'intéresse est moins l'aspect harmonique que l'aspect formel, la structure et les proportions. C'est pour moi comme un microcosme qui s'ouvre, une architecture grandiose dans laquelle chaque pierre s'appuie sur l'autre ». Reconnaissons qu'en bon professionnel, a assez bien mis en pratique ces principes directeurs lors de ces sessions de mai 2007 enregistrées live.

« Analytique » et « grandiose » caractérisent effectivement cette lecture, auquel on pourra ajouter des qualificatifs qui vont parfois et malheureusement de pair, à savoir : statique, répétitif, peu émouvant. Voilà assez bien résumée la version proposée sur ce SACD, qui n'évite pas le revers de ses qualités. Et comme souvent dans cette œuvre, on sait immédiatement si le chef va réussir ou pas à habiter cette symphonie avec le premier examen de passage que constitue l'introduction Feierlich, Misterioso où il faut réussir à établir un climat de mystère, de suspens, de tension, qui culminera dans un premier phénoménal crescendo. Avec Luisi les notes s'enchaînent sans accroc mais sans raconter grand chose non plus. Il en sera ainsi tout du long de ce premier mouvement, peut-être hors Beethoven, le plus grand premier mouvement de l'histoire de la symphonie qui aurait mérité un peu plus d'engagement expressif pour convaincre totalement. Techniquement le jeu de Luisi reste trop linéaire, accroché à la barre de mesure, jouant sans nuance les séquences répétitives classiques chez Bruckner, sans réellement trouver la pulsation vitale qui fera avancer cette musique en nous emportant sur son passage.

Le chef ne changera pas son fusil d'épaule pour la suite. Bien sûr, à cause de son écriture rythmique précurseur de tellement de musiques postérieures, le Scherzo n'a pas besoin du coup de pousse de l'interprète trouver son rythme. Mais on peut reprocher à Luisi de se « contenter » d'une belle mise en place sans donner de caractère à ce passage (écoutez aux deux extrêmes Furtwängler furieux, démoniaque et terrifiant, ou Bernstein implacable et oppressant). Quant au trio, il est joué un peu trop mollement. Le final nous a semblé plus juste que le premier mouvement, et son caractère Adagio va parfaitement bien au jeu à la fois en puissance et douceur dont est capable la . Ce qui fera de ce mouvement, à notre avis, le plus réussi des trois, même s'il n'évite pas lui non plus les passages répétitifs trop mécaniques, une légère froideur dans le sublime thème lyrique, ni quelques erreurs d'inspiration comme ce passage du développement juste avant la reprise du thème lyrique où hautbois rejoints par les clarinettes jouent la même note pendant 10 mesures de huit croches (soit quatre vingt fois la même note !) qui ressemble bien trop ici à un classique signal d'alarme réclamant l'évacuation de la salle. C'est exactement ce genre de piège qu'une grande interprétation se doit d'éviter, et ne qui ne manque pas d'arriver si on joue, comme ici, trop littéralement les notes.

Reconnaissons quand même qu'il n'y a rien de catastrophique dans cette version qui en vaut largement beaucoup d'autres, qui n'a que les qualités de ses défauts et réciproquement, et qui passerait sûrement mieux dans l'immédiateté du concert, grâce à la qualité de l'orchestre, qu'au travers de l'écoute plus analytique du disque. Pour les versions « derrière les notes » inspirées, dynamiques et expressives on restera fidèle au trio Wilhelm Furtwängler, Hermann Abendroth, Eugen Jochum, et pour les versions « rien que les notes » plutôt grandioses et statiques, dont celle-ci se réclame ouvertement, on pourra préférer le son plus sombre et impressionnant du Philharmonique de Berlin avec Herbert von Karajan (1966-DG) ou la vision personnelle et originale de Leonard Bernstein avec le Philharmonique de Vienne.

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