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Pitié ! d’Alain Plater, ballet en temps de carême

Là, tout n'est que désarroi, folie, torture et émoi… Susciter la compassion du spectateur, voilà ce que recherche  : il faut souffrir avec les interprètes qui souffrent eux-mêmes dans leur corps pour comprendre ce qu'est la pitié.

Sur la trame du déroulement de la Passion selon saint Matthieu de Bach, des danseurs agités de convulsions semblent improviser en solo, en duo, ou bien exécutent une chorégraphie torturée. Le décor évoque la misère humaine, voire même l'idée de mort : des peaux de vaches et des lambeaux de chiffons déchirés sont suspendus à des cordes tombant des cintres, comme des dépouilles misérables. Les musiciens sont en retrait, mais en même temps bien visibles sur une haute estrade. Les danseurs sont vêtus d'oripeaux désassortis qui semblent chinés chez les Emmaüs ; on ne peut s'empêcher de penser aux vêtements portés par les Deschiens. Ces vêtures seront enlevées et remises à plusieurs reprises au cours du spectacle, sans qu'on saisisse toujours la signification de cette manœuvre répétée.

demande à ses danseurs d'exprimer, voire de ressentir réellement les tourments psychologiques et la souffrance physique : ces interprètes, remarquables par leur jeu, leurs attitudes, et l'aptitude dont ils font preuve à se servir de leur corps comme d'un instrument expressif, y parviennent incontestablement. Chacun s'est trouvé son personnage : l'un mime un trisomique, l'autre semble s'arracher son plexus, le troisième fait des mimiques épouvantées et épouvantables. Beaucoup de duos montrent les rapports compliqués entre les êtres ; tantôt on se pince, tantôt on s'affronte en heurtant avec sa poitrine le thorax de son partenaire, tantôt on l'escalade, on s'enroule autour de lui, et parfois on le traîne sur le sol. Certains passages sont émaillés de souffles haletants sonorisés, parfois de cris et d'imprécations. Des phrases dans la langue de Shakespeare ou en français sont prononcés en voix off : «je vous aime tous. Tu es (ou hais ?) à moi.» Libre à chacun d'interpréter…

Heureusement trois remarquables chanteurs qui sont en même temps des danseurs à part entière citent des passages de l'œuvre de Bach : ils rendent ainsi le spectacle un peu moins noir. Serge Kakudji est absolument fantastique, tant sur le plan vocal que dans le domaine chorégraphique. Fabrizio Cassol a opéré une re-création assez exceptionnelle de la partition initiale : les sonorités actuelles éclairent la musique du maître allemand d'une façon originale qui la rendent universelle et intemporelle.

La morale de cette soirée, c'est que la vie est plus une vallée de larmes qu'une partie de plaisir. Même si des chorals chantés par la troupe apportent quelque repos dans ce spectacle tendu, on sort de la salle non pas plein de pitié, mais atterré par la condition humaine. Comme l'a dit une spectatrice, «mais c'est l'enfer…, on n'a pas très envie d'y aller».

Crédit photographique : © Chris van der Burght

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