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Debussy, ô miroirs !

Le second festival de l'Eure Poétique et Musicale proposait un généreux florilège des mélodies de Debussy, complété d'œuvres en miroir et de brèves explications. Le duo formé par le baryton et le pianiste et compositeur fonctionnait parfaitement. Malgré une voix un peu trop tenue en bride, le chanteur déployait une science éprouvée de la diction et du phrasé : certaines inflexions étaient d'une troublante beauté, comme «Et nous aimions ce jeu de dupes» (dans Les ingénus), ou «Ne lui fassent faire naufrage» (dans Le promenoir des deux amants). Le ton sobrement distancié convenait admirablement à ces pages, comme le prouvait, a contrario, le superbe naturel du trop bref extrait de Pelléas et Mélisande donné en bis. Autre éclairage pertinent sur la singularité du mélodiste Debussy, le Colloque sentimental mis en musique par Charles de Sivry rappelait quel genre de romances peuplaient les salons au début du siècle. Sivry était d'ailleurs le beau-frère de Verlaine, et donc aussi le fils de Mme de Mauté, qui donna des leçons de piano au jeune Debussy !

Accompagnateur et soliste d'une notable finesse de toucher, articulait avec précision les structures si élusives de cette musique, au point que les enchaînements sonnaient parfois un peu sèchement. Les trilles, dans Les fées sont d'exquises danseuses, étaient particulièrement aériens ; Masques et Pour les sonorités opposées emportaient pleinement l'adhésion par leur acuité expressive.

donnait aussi en création une étourdissante transcription de Rondes de printemps, la dernière des Images pour orchestre (cf. son explication). La pièce pouvait sembler impossible à réduire, tant le compositeur s'y joue des dialogues entre les vents et les cordes, à qui il demande d'ailleurs de nombreux effets («sur la touche», «près du chevalet», etc. ). Le résultat, d'une impressionnante difficulté technique et d'un faste sonore indiscutable, s'avère une fort belle réussite, car il conserve l'ardeur solaire de cette œuvre, dédiée au mois de Mai, «avec son gonfalon sauvage». Autre création, une noble et lumineuse mélodie sur un poème d'Yves Bonnefoy se plaçait dans la lignée du dernier Debussy. Dans cette œuvre, comme dans les Trois poèmes de Mallarmé selon Debussy, on regrettait la diction imparfaite de , et sa maîtrise perfectible de la prosodie. Ces défauts s'atténuaient dans les poèmes de Mallarmé selon Ravel, qui permettaient d'apprécier un timbre intéressant et une conduite de la voix très sûre, surtout pour une tessiture aussi étendue. Le piano mettait en valeur l'extraordinaire limpidité de l'écriture, mais ne pouvait égaler la diaphane beauté de la version originale pour ensemble instrumental, encore plus fascinante quand on songe que Ravel l'a conçue d'après ce que Stravinsky lui avait raconté du Pierrot lunaire.

Crédit photographique : Gérard Gasparian © DR

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