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Cycle Rameau / Grisey, les Maîtres de l’Harmonie

Quoi de plus naturel que de faire entrer «en résonance» deux maîtres de l'harmonie qui ont œuvré avec cette dernière en travaillant «à l'intérieur même du son» ?

Si certains parallèles – celui de Mozart/Lachenmann par exemple – initiés par la Cité de la Musique, ont pu sembler improbables, le rapprochement Grisey/Rameau s'impose comme une évidence à la faveur d'une pensée compositionnelle commune mue par le désir, voire l'obsession, de mettre à l'œuvre l'énergie du son.

C'est ce que le premier concert de l'Amphithéâtre nous confirmait avec maestria, affichant au programme deux chefs d'œuvre de leur auteur respectif. Honneur aux Anciens avec, en première partie, quatre des cinq Pièces en concerts (1741) du maître, son ultime œuvre instrumentale puisqu'il connaît désormais la gloire avec la Tragédie lyrique. À une partie de clavecin «obligé»- magnifique – Rameau ajoute deux instruments mélodiques – le violon agile de Gilone Gaubert-Jacques et la viole de gambe suave de Atsushi Sakaï – pour mener le dialogue et diversifier les couleurs ; à côté des danses – les célèbres Tambourins – ce sont des petites pièces de caractère, des portraits de ses contemporains – la Forqueray, la Marais, la Lapoplinière – irrésistibles par la finesse de leur conception et le foisonnement d'une écriture qui propulse le son par des formules d'arpèges jaillissantes ; alliant sobriété et rigueur et avec une même sensibilité qui parfait la cohérence du jeu, les trois «concertants» font de chaque microcosme un petit tableau vivant.

En formation de chambre eux aussi, les six membres de l'Intercontemporain donnaient à leur tour une version historique de Vortex temporum (Tourbillon de temps) de . Œuvre culte du musicien français, Vortex Temporum (1995) joue sur les métamorphoses d'un même matériau – trois spectres sonores – perçu dans trois temps différents (celui de l'homme, des baleines et des oiseaux ou des insectes). Au service du son et de l'univers singulier du compositeur, l' – et en particulier, dont la cadence pianistique n'était rien moins qu'impressionnante – nous fait accéder à cette expérience métaphysique vers laquelle tendent toutes les œuvres de Grisey.

Dans la grande salle cette fois, le deuxième concert était dirigé et invitait sur la scène Le Concert français de précédant l'Ensemble Intercomtemporain. Si l'ouverture de la pastorale héroïque Zaïs dans laquelle expérimente le passage du bruit au son pour dépeindre «le débrouillement du Chaos» était une page saisissante pour débuter la soirée, la suite d'airs et de danses d‘Hippolyte et Aricie – la première des Tragédies lyriques – qu'avait choisie le Concert français – sans autre détail sur la notice de programme – confine l'art du dramaturge à l'univers un peu réducteur du Divertissement. Certes le coloriste y est mis en valeur, nous laissant apprécier l'excellent pupitre des flûtes et l'art tout en nuance du percussionniste. Mais le son manque de brillant et de mordant tout comme la direction qui en ternit le jaillissement.

Les deux pièces extraites des Espaces acoustiques de n'en paraissaient que plus incandescentes! Autre partition emblématique de l'esthétique spectrale, Partiels pour 18 instruments (1975) nous fait pénétrer dans le laboratoire sonore du compositeur. A partir d'un Mi fondamental propulsé dans l'espace par la contrebasse et le trombone, Grisey tisse un réseau de partiels (ou sons harmoniques) et construit ses métaboles sonores sur le rythme naturel de la respiration : inspiration, expiration, repos. C'est ce flux naturel que nous fait ressentir physiquement, obtenant de ses interprètes des effets de couleur inouïs tel ce son «fendu» des cors signalant un seuil de tension dans le processus de transformation continue. Grisey laisse les interprètes «s'ébrouer» à la fin de la pièce durant quelques minutes d'un «théâtre sonore» très élégamment mis en scène par la chef et ses musiciens.

Ecrit l'année suivante, Modulations pour 33 musiciens poursuit le cycle des Espaces acoustiques qui s'achèvera avec les formations orchestrales de Transitoires et Epilogue. «Tout y est mouvement, précise le compositeur, la musique est le devenir du son plus que l'objet sonore lui-même». Au terme d'un parcours fascinant, véritable voyage dans le temps conférant au timbre un intense pouvoir émotionnel, la pièce se referme sur un coup de cymbale – celui dont nous avait frustré le percussionniste à la fin de Partiels – sur un effet synchrone de lumière et d'espace très virtuose.

Crédit photographique : DR

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