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Le Trouvère en soldes

Tout doit disparaître ! On liquide ! Grande vente de fin de règne ! On solde tout ! Le malheur veut que la majeure partie des articles a déjà été dispersée.

Il reste bien quelques costumes de militaires et quelques caisses de fusils. Qu'à cela ne tienne, on pourra encore habiller les chœurs. Bien sûr, il faudra transposer ce drame du XVe siècle plus près de nous. Pourquoi pas pendant la guerre d'Espagne ? C'est imbécile mais quelques intellectuels pourront certainement y trouver une raison profonde. Allons-y donc pour la Guerre d'Espagne ! Et pour les dames ? Il nous reste une grande robe de soirée bleu foncé qui fera l'affaire pour le premier acte de Léonore. Et pour son entrée au couvent ? En stock il reste encore un manteau noir trop court d'où dépasse une robe de bonniche. Il suffira de mettre Leonora devant le groupe pour montrer qu'elle est le personnage principal, ses servantes la suivant en véritable procession à-la-Linda-de-Suza et sa valise en carton partant à la conquête de la gloire. Et la Gitane ? Surtout pas de couleurs à son costume, on pourrait croire à son statut de tzigane. Et les décors ? Une couche de peinture noire remettra à neuf ces murs inutilisés depuis une décennie. Et la prison ? Un bloc de béton cannelé donnera l'illusion d'une prison, c'est évident. Une porte hâtivement découpée permettra même d'y voir Manrico et la tzigane. Et les accessoires de scène ? Inutiles. Aujourd'hui, l'esprit de l'intrigue doit primer sur le récit. Et tant pis pour les chanteurs qui ne savent que faire de leur corps, de leurs mains ou de leurs regards.

On l'aura compris, cette dernière production du règne genevois de prend des allures de spectacle de fond de tiroir. Il Trovatore, sa musique sublime et ses airs gravés dans toutes les mémoires, se partage la palme des plus fameux opéras verdiens avec La Traviata et Rigoletto. L'indigente mise en scène de Stephen Taylor et son inexistante direction d'acteurs plombent un spectacle toujours très attendu du public. Déconcertés par tant de médiocrité scénique, le tomber de rideau a soulevé quelques sifflets et de timides «bouh» à l'encontre du metteur en scène.

Alors que dans la fosse, tente timidement de réveiller un à l'exercice, sur le plateau les chanteurs errent désespérément sans appréhender les enjeux de cet opéra. Tous ? Non ! Seul (Le Comte de Luna) convainc. Avec son instrument tout en nuances, il habite la noirceur de son personnage sans jamais forcer le trait. Il chante Verdi comme Verdi le veut : il est le personnage. A ses côtés, la soprano russe (Leonora) domine une voix chargée d'harmoniques aux graves admirablement conduits. Possédant un matériel vocal exceptionnel, elle peine malgré tout à séduire engoncée dans une théâtralité et un jeu scénique absents. Le ténor (Manrico) tente d'illuminer son personnage avec une voix puissante possédant toute les notes de la partition. Si sa «pétoire» n'est pas sans rappeler celle de Mario Del Monaco, il n'en n'a pas la finesse. C'est dire! Quant à la mezzo Irina Mishura (Azucena) l'amplitude de son vibrato démontre une fatigue vocale difficilement explicable au vu de ses récentes performances.

Comme à leur habitude, admirablement préparés par , les chœurs résonnent superbement dans un Grand Théâtre de Genève décontenancé par cette piètre production, indigne d'un théâtre de la réputation de cette maison.

Crédit photographique : (Leonora) & (Manrico) © GTG ; (Le Comte de Luna), (Manrico) & (Leonora) © GTG

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