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La découverte d’une Cléopâtre !

Ce concert enthousiasmant ne cherche pas à rivaliser avec la version très complète dirigée in loco par René Jacobs en 1991.

Les coupes, assez larges, sont comme toujours discutables. Elles permettent ainsi l'économie de deux rôles : Curio et Nireno qui disparaissent. Certains da capo ont été coupés et bien des airs omis. C'est à ce prix que cette version a avancé sans répits et sans trop d'incohérences, dirigée de main de fer dans un gant de velours par un Eduardo Lopez Banzo survolté.

Il est rare d'entendre un orchestre si puissamment décidé à porter l'action. Les tempi très allants en général ont permis dans les moments élégiaques de laisser l'émotion s'imposer. L'orchestre a apporté à la partition un feu latin à la chaleur communicative. La distribution, sans faille, a associé de grands habitués de cet opéra et des prises de rôles toutes réussies. On ne présente plus Lawrance Zazzo en Haendelien confirmé. Son César a été chroniqué sur scène à plusieurs reprises (Bruxelles et Paris), et ses interprétations haendeliennes au disque sont toutes réussies, en duo ou en intégrale. Pourtant à Beaune il n'a pas toujours tenu ses promesses en début de soirée avec des vocalises peu sures (trop molles ou même brutales), certains trilles non réalisés et la fabrication d'un son grave caverneux qui peut paraître trop artificiel. Il a retrouvé sa superbe par la suite. Reste la taille d'une voix confortable et une relation charmeuse avec le public, qui ainsi lui a tout pardonné… À ses cotés Marita Solberg a fait des débuts remarqués avec sa première Cléopâtre. La voix essentiellement lyrique est d'une grande beauté avec une quinte aigue resplendissante. Elle s'est pliée avec grâce aux exigences du rôle sachant orner les da capo avec aisance. C'est elle qui a été victime du plus grand nombre de coupes avec quatre airs en moins. Le maestro Lopez Banzo aurait pu lui faire d'avantage confiance car elle a tout pour incarner la superbe reine d'Egypte. Obligée de se réserver pour ces airs les plus sublimes elle termine l'opéra en tirant la lumière à elle. Après l'intense émotion de «Se pieta» et «Piangero», l'aria «Da tempeste» pris dans un tempo rapide a été tout à fait sidérant. Le timbre est crémeux, la sûreté de la technique subjugue, le vibrato est parfaitement maîtrisé, les attaques sont précises, les vocalises subtiles et les aigus victorieux. Les variations dans le bas médium signalent un registre grave timbré sans poitrinage excessif. Une voix à suivre qui a été heureusement distribuée dans Haendel. Cette première interprétation encore un peu appliquée ne demande qu'à évoluer sur scène pour devenir incarnation car la cantatrice norvégienne est ravissante.

À côté de cette voix splendide ne pâlit pas et son timbre fruité et son énergie font merveille dans les airs de Sesto. La technique est parfaite avec des trilles subtilement préparés et des vocalises souples et précises à la fois, avec une belle homogénéité sur toute la tessiture, et quels beaux aigus ! La sensualité de sa voix lui permettrait de chanter Cléopâtre. En fait la grande féminité de cette voix de mezzo, qu'elle avait subtilement déployée dans un CD Haendel chroniqué par notre confrère Jacques Schmitt, ne convient pas vraiment au rôle de Sesto. C'est le seul petit accroc dans la distribution. Mais l'énergie et l'abattage contribuent à le faire oublier. Autre sacrifié, n'a que quelques airs et récitatifs pour donner tout son poids au personnage d'Achillas. Le timbre est superbe, l'autorité naturelle de la voix et la maîtrise parfaite des vocalises lui permettent d'envisager d'autres personnages de Haendel. Ce jeune baryton aborde ce rôle avec beaucoup d'aplomb. Le timbre somptueux de Juliette Galstian, sa noblesse et son aisance lui permettent de s'emparer du rôle de Cornélia dont les plaintes et la grandeur romaine sont parfaitement rendues. La sensibilité douloureuse et aristocratique dans le duo avec Sesto a été magnifique. Pltolomée est un rôle délicat car il nécessite une précision dans les vocalises qui doivent démontrer la violence et la cruauté du personnage tout en restant fougueux et jeune. Le choix du contre-ténor Antonio Giovannini est excellent. La voix est projetée comme un dard sur toute la tessiture, condensée dans le masque et sans faiblesse. Le timbre n'est pas très riche en harmoniques mais comme concentré. Il rend parfaitement justice à ce rôle avec des vocalises précises comme des coups de poignard. Un nom à retenir.

L'orchestre a été de bonne tenue avec une énergie que rien n'arrête. Le premier violon est sorti vainqueur de l'aria avec César qui n'est pas arrivé à répondre à ses superbes trilles. Hautbois, harpe et basson dans les arias obligés sont d'excellents partenaires, seul le cor solo a un peu déçu. Ce millésime du festival de Beaune en son deuxième week-end est excellent, dominé par un chef très énergique et une Cléopâtre dont il conviendra de suivre le parcours tant la voix de Marita Solberg est belle et ductile.

Crédit photographique : Marita Solberg – FR © Benjamin Hutter

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